Le sentiment de trahison ne date pas d'aujourd'hui. En 2004, des réservistes qui
avaient combattu la milice pour sauver les nouvelles autorités manifestent pour
réclamer leurs soldes que des hauts dignitaires ont "oublié" de leur reverser.
Le Président a parlé. Mais il ne s’est pas adressé à la nation, c’est du moins l’impression qui s’en est dégagée. Il a récité une longue liste de réalisations comme un pensum, le sourire rare et sans joie apparente.
Comme il est le Président, tout le monde va décortiquer ses propos, même s’il n’y a pas grand chose à analyser. A part donc le contenu manifeste, que peut-on en déduire ? Qu’il a scotomisé totalement la réalité sociale et politique qui va pourtant se rappeler à lui durement dans les semaines qui viennent. On n’évoque pas les 528 millions d’Euros de l’aide européenne ou les 260 millions de dollars octroyés par la Banque mondiale quand on n’a à proposer que 10% d’augmentation aux fonctionnaires dans un pays où le SMIC est à 30 Euros. 10%, cela fait 3 Euros, c’est toujours bon à prendre quand on crève de faim, mais il y a comme un léger décalage. Et était-il nécessaire de citer une fois de plus le centre de conférences internationales (pseudo-don des Chinois qu’il faudra payer en terres et en pétrole) comme une grande réalisation ? Franchement, qu’est-ce que les gens en ont à faire quand des gosses fouillent les poubelles pour survivre à Antananarivo ?
Il a bien parlé de démocratie mais c’est pour bifurquer aussitôt vers la construction de nouveaux tribunaux, dont celui de la cour suprême édifié sur fonds européens. Un bâtiment est un symbole mais cela peut n’être aussi qu’une coquille vide. Et c’est bien le cas ! Le problème de ce régime, c’est de toujours jouer sur les apparences pour se donner une bonne image en particulier vis-à-vis de l’étranger.
Notons qu’il a été fait mention des « chouchous », quelques dizaines d’étudiants boursiers envoyés à l’Université américaine d’Abilène. Cela fera sûrement plaisir aux milliers de petits gasy qui galèrent à Ankatso, dans un campus en déconfiture.
Bref ! le Président a parlé de lui, affichant une autosatisfaction de façade. La vie justement des étudiants, des ouvriers, des citadins de la classe moyenne en voie de paupérisation rapide, la souffrance du petit peuple, la corruption à grande échelle, l’injustice sociale, l’insécurité quotidienne, les violations des libertés… ? Aucune allusion, le pouvoir est dans sa bulle !
Il y a les belles routes, certes ! Mais encore faut-il avoir les moyens de prendre le taxi-brousse. Au moins les touristes et autres investisseurs (ou prédateurs) pourront en profiter.
Cette énumération fastidieuse n’a fait que montrer la distance grandissante entre les aspirations de la population et les objectifs du gouvernement. Le sentiment de trahison est de plus en plus vivace. La possibilité de faire remonter cette frustration n’existe pas dans un pays où les journalistes se font traiter de « terroristes », les stations radios et télés gênantes fermées sans préavis, où les députés passent plus de temps à se voter des avantages qu’à écouter leurs concitoyens. Et comme toujours, le peuple finira par s’exprimer dans la rue : 1972, 1991, 2002… sonnent comme autant de sursauts de dignité.
Le pouvoir, qui ne tient compte d’aucun des signaux qui s’allument les uns après les autres ne pourra que s’en prendre à lui-même. Ce n’est pas faute d’avoir reçu des avertissements. Mais pour l’instant, il est dans la griserie de la toute-puissance et pense contrôler la situation. Erreur fatale qu’ont déjà commise les gouvernements balayés par cette tornade populaire ! Personne ne maîtrise ce genre de mouvement, et surtout pas l’opposition qui essayera de ramasser quelques bénéfices. La cécité n’est pas égale pour tous les partisans du régime et certains ont déjà commencé à prendre des contacts. Au cas où… !
Si l’histoire se répète, on connaît d’ors et déjà les vrais coupables : ceux qui ont institué un système où d’un côté, on disserte en millions de dollars de bénéfices, et où de l’autre, on meurt pour quelques euros dont on ne dispose pas pour acheter des médicaments à la pharmacie. C’est l’antithèse du « Fahamarinana » et du « Fahamasinana », « Droiture » et « Sainteté » que l’on pourrait traduire pragmatiquement par « justice sociale ». C’était l’engagement des gouvernants envers le peuple en 2002.
Alain Rajaonarivony
Avec la participation de Gilbert Raharizatovo