Le 17 février, pour éviter les barrages de l’Emmo-nat sur Analakely, comme la veille, les manifestants sont passés par le quartier populaire d’Isotry pour rejoindre les ministères. De nouveau bloqués non loin du Carlton par les forces de l’ordre, ils ont attendu patiemment les résultats des négociations qui se sont déroulées au Toby Ratsimandrava (camp de la Gendarmerie) entre le ministre de la Défense de Ravalomanana et la délégation conduite par Andry Rajoelina.
Comme c’est le cas presque chaque jour maintenant, ils sont nombreux, autour de la dizaine de milliers, à marcher et tout Antananarivo suit leur progression en direct à la radio. Et l’on s’étonne de la discipline de cette foule qui suit les ordres du Maire sans rechigner. Les incidents se produisent toujours à la fin des manifestations, quand elle a l’impression d’être trahie car ceux qu’elle a suivis négocient pour éviter une confrontation violente. Ce mardi n’a pas fait exception à la règle : Monja Roindefo a été sifflé quand il a annoncé un rendez-vous avec les responsables du pouvoir central pour le lendemain. Cela signifie que les « ministres de la Transition » ne peuvent pas encore entrer en fonction.
Plusieurs analystes ont noté que lors de la première tentative avortée de la prise des ministères le 16 février, Andry Rajoelina a été débordé par ses propres troupes. On a le sentiment que ce n’est pas une cohabitation que désire le « petit peuple » - dans un autre contexte, on aurait dit les prolétaires – mais une révolution. En 2002, ils avaient mis tous leurs espoirs dans un des leurs, un petit laitier pauvre devenu businessman, parfait exemple que le destin n’est pas toujours écrit quand on se donne la peine de se battre. La trahison a été d’autant plus violemment ressentie.
Car le garçon courageux qui trimballait ses bidons de lait a renié ses origines et préfère la fréquentation du grand monde. Il a essayé même de complaire aux Andriana (la noblesse locale) qui n’osent se moquer ouvertement de sa naïveté mais n’en pensent pas moins. L’ancien petit pauvre a préféré construire des hôtels 5 étoiles et des villas luxueuses pour ses pairs de l’Union Africaine, plutôt que des logements sociaux. Il a acheté un Boeing 737 configuré en VIP à 60 millions de dollars mais a laissé le Smig (salaire minimal) aux environs de 30 Euros.
Marc Ravalomanana ne s’aime pas vraiment, il n’est donc pas très étonnant qu’il n’aime pas les autres. Son agressivité permanente n’est qu’un mécanisme de défense psychique pour éviter de montrer les défauts de la cuirasse. Il est dommage pour lui et ceux dont il a la charge qu’aucun n’ait osé lui dire qu’il a rejeté ce qui était justement sa force.
Le fait d’avoir des origines modestes et d’avoir malgré tout réussi en self-made man l’avait rendu extrêmement sympathique auprès des Américains et des intellectuels de la diaspora. Que les acculturés se moquent de son accent en français n’avait pas grande importance. Il était la fierté des Malagasy et les meilleures intelligences avaient établi un bouclier autour de lui, ridiculisant ses adversaires en 2002. Sa foi simple parlait aux plus modestes : justice, vérité, droiture pouvaient soulever des montagnes.
Les Malagasy avaient accepté tous les sacrifices, parfois jusqu’à perdre la vie.
Sept ans après, les résultats de la série de reniements sont là. Dieu n’est plus qu’un argument politique. L’argent règne en roi dans toutes ses actions, à croire qu’il s’appuie sur sa richesse pour se protéger. En 2002, il parlait de tolérance et de pardon. Depuis, il a envoyé pas mal de ses défenseurs en prison mais a laissé partir tranquille les cerveaux ayant mis en place les barrages et les milices à cette époque.
« Les gens ne veulent plus entendre parler de prières et d’églises après tout ce qui s’est passé » me confiait une vieille amie croyante, le cœur serré. C’est le résultat de l’action, non d’idéologues marxistes particulièrement efficaces, mais d’un vice-président de l’église protestante (fonction qu’occupe encore le Président). Il a tapé dans les caisses de l’Etat, trahi ses amis et dernièrement fait massacrer une cinquantaine de manifestants devant son palais. Dieu ou Mammon, il faut choisir mais on ne peut pas servir les deux en même temps.
Toujours le 17 février, CARE (association de solidarité internationale) a lancé un appel en faveur du sud de Madagascar. « Les populations locales ne mangent plus à leur faim depuis déjà plusieurs mois. On rencontre déjà des enfants sous-nutris », a déclaré Philippe Lévêque, directeur général de CARE France, qui s’est rendu sur place en janvier pour évaluer la situation. La priorité du pouvoir semble pour l’instant la réception du sommet de l’Union Africaine en juillet prochain.
Le Président Abdoulaye Wade du Sénégal, sollicité, a accepté de jouer le rôle de médiateur entre les deux parties. En 2002, en pleine crise, ce pays était à peu près le seul à être au côté du peuple malagasy et s’était fait son avocat auprès des autres nations.
« La vie d’un homme vaut plus que toutes les richesses de la terre ». La Bible
Alain Rajaonarivony