En général, lorsque deux belligérants engagent des négociations, ils conviennent d’une trêve pour se trouver dans un climat moins tendu et se donner toutes les chances d’aboutir. Marc Ravalomanana avait cru plus intelligent de faire le contraire. Il avait brutalement engagé l’Emmonat (Etat major mixte opérationnel, forces conjointes de la police, de la gendarmerie et de l’armée) dans une répression tous azimuts dès le 4 mars pour arracher la décision.
Les commentateurs les moins avertis ont cru à l’efficacité de cette stratégie et en ont déduit le début de la fin du mouvement de contestation et de son chef Andry Rajoelina. Sur ce blog, vous avez pu lire que cela allait sans doute entraîner une violence accrue et la division de l’armée (voir l’article du 5 mars : « Le « Fihavanana », une conception devenue virtuelle »). La mutinerie de la garnison du CAPSAT (Corps d'Administration des Personnels et Services de l'Armée de Terre) le dimanche 8 mars a été le prélude à cette scission. Les soldats se sont mis sous les ordres du colonel Noël Rakotonandrasana et ont refusé d’obéir aux officiers de l’Emmonat. Ils ont expliqué que « c’est à la demande du peuple » qu’ils ont pris cette décision et ne veulent plus participer à un maintien de l’ordre qui vire à la « répression ».
La violence a connu plusieurs pics à l’initiative du pouvoir. L’attaque du domicile du Maire Andry Rajoelina dans la nuit du 5 au 6 aurait pu tourner au drame étant donné la proximité du Lycée français et ses 1600 élèves (voir article précédent). Et le 7 mars, la soirée a encore été chaude mais cette fois-ci du côté du « Tana Water Front », où se trouve l’immeuble de Viva Tv et Radio. L’Emmonat n’a pas fait dans le détail et saccagé les locaux. Ce qui a fait dire à certains que les forces de l’ordre se sont finalement comportées comme les casseurs qu’ils sont sensés combattre.
L’ONU, qui parraine les négociations menées par le FFKM (Conseil œcuménique des Eglises) entre les deux partis, a très moyennement apprécié l’attitude du Président. Les diplomates ont exfiltré le Maire de sa demeure assiégée et l’ont caché en « lieu sûr », c'est-à-dire à la « Résidence de France ».
Le 9 mars, les protestataires sont revenus timidement sur la place du 13 Mai, incrédules de la voir de nouveau accessible. Des jours de violences, de courses-poursuites entre l’Emmonat et des manifestants, des nouveaux morts, souvent totalement étrangers à ce conflit, un gamin de 12 ans, une étudiante tuée dans sa chambre, un marchand de beignets atteint à la tempe, autant de souffrances qui auraient pu être économisées.
Mais mis sous pression par l’Union Africaine, le Président a tenté son va-tout. Comme prévu, ce fut totalement contre-productif. Des « touristes » très spéciaux ont dirigé les manœuvres de l’Emmonat sur la place du 13 Mai. « Instructeurs » selon la terminologie officielle, mais plus proches de mercenaires, leur présence témoignait du manque de confiance du Président envers ses officiers.
Andry Rajoelina a dû se terrer et n’osait plus réapparaître en public mais paradoxalement, c’est le Président qui a le plus perdu. Sa crédibilité a été anéantie. Il était manifeste aux yeux des observateurs qu’il a perdu le contrôle de la situation. Il a été obligé de promettre le lundi 9 à Tiébile Dramé, le représentant de l'ONU, de ne pas arrêter Andry Rajoelina et de laisser libre ses collaborateurs de leurs mouvements.
Le mardi 10 mars à Paris, le porte-parole adjoint du ministère français des Affaires étrangères, Frédéric Desagneaux, révélait que son pays a accordé l’asile au Maire pourchassé en le cachant dans la résidence de son Ambassadeur depuis l’attaque du vendredi, en précisant qu’il venait d’en partir pour un autre endroit sécurisé.
Dans le même temps, le ministre de la défense, le vice-amiral Mamy Ranaivoniarivo, était obligé de signer sa démission sous la contrainte, une centaine de soldats l’ayant retenu dans ses bureaux pendant près d’une heure jusqu’à ce qu’il abdique. Dans la journée, on apprenait le ralliement de pratiquement tous les corps de l’armée au mouvement initié par le CAPSAT.
Plusieurs centaines de partisans du régime qui manifestaient devant l’Ambassade de France ont failli en venir aux mains avec les contestataires venus de la place du 13 Mai, située non loin de là mais la police a dispersé tout le monde.
Dans une émission radio-télévisée, le Président a fait son mea-culpa, déclarant qu’il n’était qu’un « homme, pouvant faire des erreurs ». « A ceux qui ressentent de la colère, je peux le comprendre…Je voudrais vous dire que je suis prêt à vous écouter et je vous fais la promesse de rechercher des solutions à vos motifs de plaintes ». Repentance trop tardive, estiment les opposants les plus radicaux qui rejettent même l’idée des « Assises nationales » que le FFKM tente de mettre en place du 12 au 14 mars. De cette réflexion élargie devrait sortir une solution consensuelle.
En sabotant cette initiative et en demandant le départ du Président, les extrémistes de l’opposition feraient la même erreur d’appréciation que Ravalomanana en mode inverse. Fort du ralliement de l’armée, ils estiment pouvoir arracher la décision au forceps et régner sans partage. Cela entraînera encore plus de désordres et plombera leur crédibilité internationale. Hors du dialogue, il n’y a point de salut sauf à préférer des tensions larvées qui déboucheront fatalement sur une autre explosion.
Bizarrement, le chef d’Etat-major (CEMGAM), le général Edmond Rasolomahandry, a donné 72 heures aux politiques pour résoudre la crise, faute de quoi, l'armée prendrait "les affaires en mains pour sauvegarder les intérêts supérieurs de la nation". Il sait pourtant que les "Assises nationales" doivent débuter dans deux jours. Pour compliquer encore la situation, un groupe d'officiers composés de colonels et de lieutenants-colonels disposant de commandement stratégiques, ont nommé un des leurs, le Colonel André Ndriarijaona, comme nouveau CEMGAM. Ils ont déclaré refuser toute idée de « directoire militaire » que semble caresser leurs ainés. Ils rejettent aussi tout ordre venant du Président.
Le PDS (Président de délégation spéciale) nommé par le pouvoir, Guy Rivo Randrianarisoa, qui a joué les matamores à la télévision en tenant des propos provocateurs incitant à la violence, l’a payé très cher. Son domicile a été incendié en début d’après-midi.
Le Maire a commis énormément d’erreurs qui lui a aliéné une bonne partie de la sympathie dont il bénéficiait. Il a démontré son immaturité en se laissant embobiner par les « has been » de l’opposition, des vieux politiciens qui lui ont resservi le plat réchauffé de 1991 ayant conduit le pays au désastre. Ses appels à une grève générale impopulaire et sa marche tragique devant Ambotsirohotra (voir article : « Carnage devant le palais ») lui ont été inspirés sans doute par ces « cerveaux » ayant eu à maintes reprises l’occasion de démontrer leur incompétence et leur volonté de se faire une place au soleil sur le dos du peuple. Mais Ravalomanana n’a pas su exploiter ces faiblesses et à chaque fois l’a remis en selle par des prises de décision irréfléchies allant toujours dans le même sens : l’autoritarisme et l’oppression. Son manque de clairvoyance et de tolérance lui a coûté très cher.
Les deux rivaux ont montré leurs limites et c’est peut-être la seule chose positive pour les Malagasy qui seront désormais beaucoup plus critiques à leur égard mais aussi envers ceux qui vont les suivre. Le Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, enverra le 12 mars son émissaire, l'ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo, à Madagascar, pour "contribuer à une sortie durable de la crise". L’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) devrait tenir son sommet à Madagascar en 2010.
Il s’agit maintenant de trouver des solutions conservatoires et non transitoires si on veut que le pays retrouve une sérénité pérenne permettant à ses dirigeants de ne plus être contestés à chaque poussée de fièvre. Ce soir du 10 mars, le Président s’est mis à l’abri dans un lieu sûr. Les rôles sont inversés.
Alain Rajaonarivony