Plusieurs responsables politiques de la Grande Ile sont de nouveau à Maputo, capitale du Mozambique, depuis le 3 décembre. Malgré la réticence de la communauté internationale, le président Ravalomanana a eu gain de cause et obtenu sa conférence. Initialement, les médiateurs avaient demandé que la dernière étape, la désignation des membres du gouvernement se passe entre Malgaches, avec la possibilité de régler les derniers points de friction par visioconférence avec les chefs de mouvances se trouvant à l’extérieur, Didier Ratsiraka à Paris et Marc Ravalomanana en Afrique du Sud. Joaquim Chissano, l’ancien chef des médiateurs, devait se rendre à Antananarivo pour le dernier coup de main.
Pour une fois, c’est Andry Rajoelina qui a suivi les recommandations du Groupe international de contact (GIC) -la visioconférence est une proposition d’Ablassé Ouedraogo- et c’est lui qui se retrouve seul à Antananarivo. Selon les articles 12 et 13 des accords, l’équipe de médiation n’existe plus. On est maintenant dans le suivi des relations institutionnelles qu’il faut normaliser. Mais ses atermoiements ont permis à son rival de monter au créneau. La gestion d’un pays n’est pas un spectacle permanent, avec des chèques symboliques, en format géant style Euromillions à distribuer à des employés dont la société est en difficulté (La Sirama à Nosy-be le 20 novembre, après l’unité de Brickaville quelques jours auparavant). Le président de la Transition a multiplié les déplacements en province. Il aurait dû accorder sa priorité à la formation du gouvernement, avec l’aide de son Premier ministre Eugène Mangalaza.
Dans le contexte actuel, des gestes forts comme la libération des prisonniers politiques ou la présentation d’une nouvelle équipe gouvernementale, même incomplète, auraient comblé d’aise la communauté internationale et permis de consolider les structures institutionnelles. En jouant la montre et les gros bras, via les officiers des FIS (Forces d’intervention spéciale) qui ont fait une déclaration depuis les bureaux de la présidence, il a miné son tout nouveau statut de chef d’état désigné. Des militaires n’ont pas à réclamer les ministères de souveraineté pour sa mouvance. D’ailleurs, logiquement, leur devoir de réserve aurait dû les astreindre au silence. Leur intervention reste dans la tradition du coup d’état. Il eût été plus judicieux que ce soit un juriste qui transmette ces revendications.
Les légalistes se sentent le vent en poupe. Ils ne devraient pas se réjouir trop vite. Maputo III n’est qu’une étape car le forcing de Marc Ravalomanana, pour réapparaître au premier plan, en lieu et place de son co-président Fetison Andrianirina, va réactiver les extrémistes des deux bords et éloigner la perspective d’une transition plus ou moins paisible. «Foza*» (partisans convaincus du coup d’état) et «Fôpla**» (Tim arrivistes et sans scrupules) sont bien dans le même combat. Ces individus ne se sentent si bien que lorsque les déstabilisations leur offrent des opportunités d’ascension sociale inespérée, le dindon de la farce étant encore et toujours le peuple.
Maputo III est en rupture avec les rencontres précédentes, non seulement à cause de l’absence d’Andry Rajoelina, mais surtout parce que les observateurs internationaux sont réduits à leur plus simple expression : pas de représentants de l’OIF ou de bataillons de délégués… comme auparavant. Autant d’indices qui démontrent que c’est la réunion de trop. Les divisions politiques vont de nouveau se ressentir très durement, et les conditions de vie de la population continuer à se dégrader. C’est le prix à payer pour que certains continuent de tenir le haut de l’affiche. Les «forces du changement», hostiles aux accords, recommencent à élever la voix. Cette année 2009 aura été celle de la honte pour Madagascar et aussi bien Marc Ravalomanana qu’Andry Rajoelina y auront largement contribué.
Les accords de Maputo, avec l’acte additionnel d’Addis-Abeba, étaient un chef-d’œuvre de complexité alliant les méandres de l’esprit des Malgaches tout en respectant parfaitement les normes et le droit international. Il fallait passer par là pour arriver aux élections, sans effusion de sang, et lever rapidement l’embargo économique qui plonge la population dans une misère de plus en plus insupportable. Mais il manque le minimum de bonne volonté et l’amour de la patrie qui les auraient rendus applicables. Si les politiciens ne veulent pas de la conciliation, il leur restera l’option de la Guinée, où un autre putschiste, le capitaine Moussa Dadis Camara a été grièvement blessé à la tête par une rafale tirée par son propre aide de camp ce 3 décembre. Il a été évacué d’urgence au Maroc. Son directeur du protocole et plusieurs de ses gardes-de-corps n’ont pas eu cette chance. Ils ont été tués. Le 2 décembre, à son retour de Diego-Suarez, la voiture blindée d’Andry Rajoelina aurait été touchée par une balle. L’enquête n’a pas apporté de plus grandes précisions pour l’instant.
Ces accords, signés par toutes les parties, représentent ce qu’on peut faire de plus abouti intellectuellement. Mais quand chacun détourne sa signature et ses engagements, on tombe dans un problème d’ordre moral et spirituel. On peut reprendre la conclusion de Niry, l’éditorialiste de Sobika.com, il y a quelques jours : «A part Jésus Christ, on ne voit pas trop qui pourrait faire un miracle à Madagascar !». Si les Malgaches sont ce qu’ils prétendent être, un peuple croyant, c’est le moment de le montrer. Pour l’instant, ils ont surtout présenté beaucoup d’incohérences. Marc Ravalomanana faisait grand cas de ses convictions religieuses tout en tapant dans les caisses de l’état ou en corrompant des politiciens véreux pour changer la Constitution en sa faveur… L’aventure de Bill Clinton avec Monika Lewinsky, péché véniel au regard des drames défrayant l’actualité, a provoqué un scandale. Il a dû demander pardon publiquement à sa femme et au peuple américain. C’est peut-être une question de culture : voler l’Etat n’est pas voler, tromper sa femme n’est pas un pêché, violer la parole donnée non plus tout comme trahir ceux qui vous ont fait du bien.
Les dirigeants ne sont pas plus blâmables que la plupart de leurs compatriotes qui agissent de même et prennent ensuite la Sainte-Cène ou la Communion, en priant avec ferveur. C’est un peu la foi du mafioso qui va se confesser après chaque méfait. Beaucoup ont d’ailleurs trouvé des excuses au président après le massacre du 7 février. Andry Rajoelina, lui, était chaperonné par Monseigneur Odon Razanakolona, dit Monseigneur Omar depuis le coup d’état. Il terminait ses manifs, à l’époque pacifiques, par des séances de prières, et les Mpiandry (diacres) en toges blanches étaient toujours aux premières loges y compris lorsqu’il a pris le pouvoir. Cela ne l’a pas empêché de faire donner de la kalachnikov et de tuer des innocents. Quand au respect de la parole donnée, il est sur la même longueur d’ondes que son prédécesseur. Lui aussi n’a pas hésité à sacrifier (trahir serait plus exact) son «ami» Roindefo Monja pour sauver sa peau.
Quand les Malgaches prendront au sérieux les paroles de ce Dieu qu’ils prétendent servir, ils auront peut-être des dirigeants différents. Pour l’instant, ceux qui les oppriment leur ressemblent. Le «paraître» est toujours privilégié au détriment de valeurs plus profondes et plus intérieures. Et ce n’est pas le dévouement admirable de quelques-uns qui pourront cacher la misère spirituelle de la majorité. A quoi sert 7,5% de croissance quand le SMIC demeure encore et toujours à 30 Euros ? Une infime minorité vit dans un luxe effarant et a vu son niveau de vie exploser. La paix sociale s’obtient par un minimum d’équité et de solidarité. «Le trône s’affermit par la justice» n’est pas un précepte tiré d’un cours de Sciences Po mais une citation du livre des Proverbes (16 :12) dans la Bible.
Un de mes vieux profs disait, il y a déjà bien longtemps : « La devise de la République française, Liberté, Egalité, Fraternité, c’est l’Evangile mais sans Dieu». Vaut-il mieux pour les Malgaches un Evangile sans Dieu ou un Dieu sans Evangile? République laïque, égalitaire et respectueuse des Droits de chacun ou pseudo-théocratie mais qui rejette les valeurs faisant la force de la foi? Les droits des plus humbles ne sont pas respectés. Les lois sont détournées par les puissants. Aucune législation sociale n’est appliquée et il n’y a jamais eu de véritable programme pour protéger les générations futures. Des gosses dorment dans les rues et fouillent les poubelles pour survivre. Le dénuement extrême des plus pauvres contrastent avec le luxe tapageur des nantis. L’adage, «on a les dirigeants qu’on mérite», semble trouver parfaitement son application.
* Foza : Ecrevisse, en référence à la révolution orange
** Fôpla : Faux-jetons (c'est un euphémisme), expression popularisée en 2002, pour désigner les arrivistes qui ont su manœuvrer pour s’accaparer des postes de responsabilité à la place des vrais militants.
Photo : La FIS, une réalisation de la HAT. Ses hommes sont responsables de l’humiliation et de la torture d’un pasteur-médiateur, de l’arrestation musclée d’un Premier-ministre de 71 ans, et du tabassage, à 5 contre 1, d’une sénatrice.
Alain Rajaonarivony