Le 14 octobre, jour de la proclamation de la république, non célébré par le régime issu du coup d’état du 17 mars 2009, Marc Ravalomanana semblait désolé au téléphone en parlant avec ses partisans réunis au Magro. Ses députés TIM étaient en train d’intégrer avec entrain l’ersatz de parlement mis en place par la HAT (Haute autorité de transition). Congrès de la Transition (CT) et Conseil supérieur de la transition (CST) remplaceront l’Assemblée nationale et le Sénat. Aucun de leurs membres ne sont élus et l’opposition légaliste n’y est représentée que par les transfuges et les dissidents. L’apparence d’ouverture n’a pas trompé la communauté internationale qui demande toujours une véritable consensualité, base nécessaire à une paix véritable.
Quelques heures auparavant, l’ancien Premier-ministre Tantely Andrianarivo débarquait à l’aéroport d’Ivato, accueilli par une foule importante, mettant ainsi fin à 7 ans d’exil. «Je ne reviens pas pour rechercher un poste… mais pour être avec le peuple et partager sa vie et ses aspirations» a-t-il déclaré dès sa descente d’avion. Il a aussi rappelé ce qu’a subi sa famille lors de la crise de 2002. Pierrot Rajaonarivelo, l’ex-ministre des finances, est déjà revenu, juste après le coup de force (voir article : «Ra8*, le retour»). L’Arema pourra recevoir bientôt chaleureusement Didier Ratsiraka, qui a déjà annoncé son arrivée incessamment, dès que son fils hospitalisé ira mieux, a-t-il précisé! La HAT n’y verrait pas d’inconvénient !
C’est donc l’heure des grandes retrouvailles, sauf pour les «zanak’i Dada», les partisans de Marc Ravalomanana (qui se sentira bien esseulé en exil). La HAT est prête en effet à jouer son va-tout, quitte à couler économiquement le pays, pour empêcher ce retour. Les conséquences sont terribles pour la population et Roindefo Monja l’a rappelé lors d’une émission télévisée. Chômage massif qui s’intensifie de jour en jour, déscolarisation des enfants -les parents n’ayant plus les moyens de payer les frais d’inscription-, dégradation de la santé des citoyens due au stress et au désespoir (infarctus, suicides…).
Raharinaivo Andrianatoandro, un des rares leaders légalistes rentré en résistance et qui a payé de la prison sa fidélité (voir article : «La fuite en avant»), a été élu par ses pairs le 15 octobre, président du Congrès de la transition par 140 voix sur 238. Apparemment, il ne fait plus du retour de Marc Ravalomanana un préalable à la réconciliation. Ce dernier perd un de ses soutiens les plus courageux. Les Tikoboys surdiplômés ont tous fui à l’étranger dès les premiers coups de feu. Ceux qui n’avaient pas de compétences à vendre sur le marché international ont tout simplement retourné leurs vestes. Ils remplissent les travées du nouveau «parlement».
Cette série de désaffections et de trahisons doit-elle étonner l’ancien chef de l’état alors qu’il a lui-même choisi ses collaborateurs en fonction de ses critères : compétence technique mais moralement pas trop rigide pour permettre quelques entorses à l’éthique? Pour certains, il les a même «retourné». A la base donc, c’étaient déjà des traîtres. En 2002, les meilleurs cerveaux, en particulier ceux de la diaspora, étaient prêts à se mettre au service du pays. Mais Ravalomanana ne les a pas retenus. Outre une pléthore d’assistants étrangers, il a préféré des Gasy plus malléables. Il en paie le prix actuellement. Non seulement, il est trahi mais il manque cruellement de conseillers pointus et crédibles.
Que peut faire maintenant l’ancien président pour remonter la pente ?
- Relancer toutes les entreprises Tiko au pays, en engageant une bataille juridique contre la HAT, recréera des milliers d’emplois qui seront des sympathisants potentiels. Mais surtout, cela soulagera des milliers de familles et contribuera à sortir l’économie de l’ornière.
- Deuxièmement, plutôt que de perdre des milliards à financer des officiers ou des politiciens corrompus et traîtres, il devrait investir dans le social. C’est l’arrogance des nantis et le sentiment d’abandon des pauvres qui ont précipité sa chute. On peut avoir réussi et montrer de la compassion, aider les plus humbles à avoir leur part de soleil. Nadine Ramaroson, ministre de la Population et des Affaires sociales, est sans doute la seule membre de la Transition dont la côte de popularité continue de monter.
- Enfin, il ne devra pas refaire l’erreur de 2002 et s’entourer des vrais élites, y compris et surtout de la diaspora. Eux seuls sont capables de jouer les interfaces entre la culture malgache en perdition, réduite à une caricature (voir ce que fait la HAT des notions de fihavanana ou de raiamandreny…), et le reste du monde qui continue d’avancer.
Pour éviter toute mauvaise interprétation de ce dernier point, je narrerai un épisode très personnel. Un soir de 2003, je reçois un coup de fil.
- «Le président est à côté de moi. S’il t’octroie un poste diplomatique, accepterais-tu de travailler avec Hélian Ralison ?»
- «Non !» Ma réponse était instinctive et lapidaire.
Le président était en visite officielle à Paris et ce soir là, il devait avoir le blues. Il rabrouait souvent l’ambassadeur qu’il avait nommé en public : «Tu es à la place d’un autre !».
Mais il m’était impossible de travailler avec une personne que j’avais surnommé «l’Interahamwe». Partout où j’allais, réunions de la diaspora, manifs, palais présidentiel d’Ambotsirohitra…, il y avait Hélian. Il n’organisait rien, ne produisait rien mais rapportait infidèlement les faits et gestes des responsables de la lutte en haut lieu. Pour ses mauvais et déloyaux services, il sera nommé Premier conseiller de l’Ambassade de Paris. C’est à cause d’individus de ce genre que la diaspora s’est petit à petit détournée du président. D’ailleurs, si cette dernière n’a toujours pas le droit de vote, il y est un peu pour quelque chose.
Donc, quand j’entends «compétence de la diaspora», il ne s’agit pas des arrivistes qui font des pieds et des mains pour avoir un poste. Ils sont aussi bien chez les «Fôpla» que chez les «Foza» et sont profondément nuisibles (voir article : «C'était un si beau pays : Foza et Fôpla, même combat»). Hélian Ralison, après avoir été viré de son poste par la HAT, a tenté de rebondir et est à l’origine en partie de l’explosion des GTT (mouvement légaliste de la diaspora) (voir article : «GTT and GTT»).
Le 19 août, je tombe sur un article de Tribune. Choqué, je décroche mon téléphone et fait part de l’info à Nadine Ramaroson. L’oxygène des enfants asthmatiques va devenir payant à l’hôpital : 1000 Ar de l’heure, une fortune pour les pauvres.
Elle me répond : «Tu sais, c’est une conséquence de la coupure des aides internationales…»
- « Mais on n’a pas le droit de sacrifier ainsi les enfants…Qu’ils fassent des économies sur les 4x4 des ministres… Les gouvernants ont le devoir de sauver le peuple. Si vous ne pouvez sauver tout le monde, sauvez au moins les enfants».
- «Tu as raison ! Je te promet de voir ça !»
L’après-midi, elle me rappelle : «Ca y est ! C’est réglé ! Les enfants auront leur oxygène».
Le 11 octobre, j’étale mes états d’âme, toujours au téléphone, sur la rentrée des classes et les frais d’inscription exorbitants pour la plupart des parents, «…et il n’y a même plus de kits scolaires».
- «Magro faisait des affaires avec. Il recevait les commandes de l’Etat».
- «Ce n’est pas le problème… C’était un acquis pour les pauvres et une aide vitale pour eux…»
- «Tu as raison !...»
Deux jours après, je recevais les premières photos de distributions de kits scolaires faites par ses soins. Dommage que son ministère ait un budget si rikiki.
Cela ne marche pas toujours. Je lui avais demandé d’intercéder pour que l’anglais demeure langue officielle dans la nouvelle Constitution élaborée par la HAT. C’était une chance pour les générations futures dans le contexte de la mondialisation. Les jeunes Malgaches auraient pu réduire le gap avec les autres nations. Mais pour certains hauts responsables, la haine de Ravalomanana devait être plus forte que l’intérêt des enfants. Le référendum, prévu pour le 17 novembre pour la valider ou non sera une formalité puisque les dirigeants usent des mêmes vieilles recettes : délai trop court, propagande à sens unique, fermeture de radios… 90 % des citoyens n’ont pas lu les textes mais le «oui» l’emportera…
L’article 6 de cette fameuse Constitution donne la nouvelle devise de la République : «Fitiavana-Tanindrazana-Fandrosoana», «Amour-Patrie-Progrès». La «Liberté» a été zappée ! Outre qu’il est incongru de voir le mot «Amour» dans un texte officiel, la langue malgache a en commun avec le français d’être très pauvre pour le définir. Le grec dispose de 3 termes : filia, eros et agapé. Le premier a donné «l’amour filial», l’amitié, le second «érotique», l’amour sensuel, et le troisième parle du grand amour prêt à se sacrifier pour l’être aimé, utilisé dans la Bible pour parler de l’amour de Dieu. Etant donné le saccage systématique de toute démarche de réconciliation par la HAT, et la haine visible pour l’ancien président, je pencherai pour le second terme grec dans l’esprit du législateur. Cela ira très bien pour Madagascar, en passe de devenir une destination privilégiée pour le tourisme sexuel, conséquence de la pauvreté et du laxisme des autorités.
Comme je suis moi-même un grand enfant, j’ai aussi besoin de respirer. Je vais donc suspendre mes articles et me consacrer un peu plus à des choses personnelles, ce qui soulagera certains et désolera peut-être quelques uns de mes lecteurs. Mais comme il est écrit, «il y a un temps pour tout !». Peut-être reprendrai-je la plume dans quelques mois, si la situation l’exige. Mais je souhaite que Madagascar s’en sorte avant… !
Merci de m’avoir suivi si fidèlement dans mes bafouilles et que Dieu vous garde !
Photo 1 : «Jeune Afrique», où j’avais affuté mes premières armes quelques années auparavant, recherchait désespérément une photo du challenger de Didier Ratsiraka en décembre 2001. Quand ils m’ont téléphoné, je leur ai fourni cette photo que j’avais prise en octobre, juste avant de repartir sur Paris. L’image du futur président à l’international sera entièrement façonnée par la diaspora.
Photo 2 : Nadine Ramaroson en train de distribuer des kits scolaires en octobre 2010.
Alain Rajaonarivony