Les Malgaches passeront des Fêtes inoubliables, leurs dirigeants s’y emploient, en tout cas, avec ferveur. Le Père Noël sera généreux : 2 gouvernements, 2 premier-ministres, un gros paquet de députés non élus (hormis ceux d’une mouvance), des élections surprises…
Andry Rajoelina s’est prêté à un débat le 16 décembre devant des journalistes dont la marge de manœuvre était limitée. Il y eut quand même des rires dans l’assistance quand il a parlé du pluralisme de la TVM (télévision nationale). Une date a été annoncée, -le 20 mars 2010-, celle des élections législatives. Ce fut l’information de la soirée. Le reste en découle.
Auparavant, il est revenu sur un évènement qui l’a traumatisé et a pesé lourd sur ses décisions : le courrier de Copenhague (voir article : «Entre rires et honte, le désespoir»). Addis-Abeba était une victoire pour les légalistes, revenus dans le jeu et au plus haut niveau par l’intermédiaire de la co-présidence. Maputo III, mais surtout la volonté d’humilier Andry Rajoelina ( par cette controverse qui n’apporte rien au pays) resteront sûrement comme un grand regret pour les légalistes, du moins pour ceux qui ont assez de lucidité et de recul. En politique comme en mathématiques, il y a ce qu’on appelle des erreurs fatales.
La lettre envoyée par les hauts responsables politiques de 3 mouvances au Secrétaire général des Nations Unies et du Premier ministre du Danemark leur demandant de refuser la présence d’Andry Rajoelina au sommet climatique de Copenhague est de celles-là. Leurs auteurs n’en sont pas fiers, et dans son plaidoyer passionné depuis l’Afrique du Sud pour défendre Maputo III, le co-président Fetson Andrianirina s’est bien gardé d’en faire mention. Plus tard, au Carlton, le 18 décembre, il n’en a pas non plus pipé mot.
Ce n’était pas la distribution des ministères, sensée être l’objectif de la réunion, qui a mis le feu aux poudres mais bien cette missive. Elle a atteint Andry Rajoelina au plus profond, suscitant en lui des résonances remontant à 2008. C’était l’époque où Marc Ravalomanana, à coups de décrets, vidait petit à petit sa fonction de Maire de toute sa substance. Et parallèlement à ce courrier, les politiciens présents à Maputo ont décidé, nonobstant les accords d’Addis-Abeba, de réduire les prérogatives du président désigné, pourtant déjà bien encadré par les 2 co-présidents. Il aurait eu l’obligation de faire cosigner tous ses actes et non plus seulement les décisions du Conseil des ministres. De cela aussi, personne ne s’est vantée.
Le 15 décembre, un groupe d’officiers composés de 8 colonels et d’un capitaine de frégate ont demandé lors d’une conférence de presse au Carlton le retour des personnalités bloquées en Afrique. Le lendemain, les étudiants de l’Université d’Ankatso ont aussi exigé la même chose. Ils ont été exaucés car la levée de l’interdiction d’entrée du territoire a été signifiée par le Général de police, Organès Rakotomihantarizaka, dans la foulée. Les «provisoirement exilés» sont arrivés à Ivato dans l’après-midi du 18 décembre, chaleureusement accueillis par leurs partisans, venus en nombre. L’aéroport était sécurisé par les bérets rouges (les parachutistes), sous les ordres du commandant Roger Luc. On n’a donc pas vu les FIS (Forces d’intervention spéciale) venir comme à leur habitude intimider les légalistes. C’est aussi un signe que l’armée s’implique dans la crise. Désormais, les militaires mutins ne seront plus les seuls à être prêts à faire usage éventuellement de leurs armes.
Aussitôt arrivés, les responsables des 3 mouvances ont donné une conférence de presse au Carlton. Albert Zafy, très remonté, a traité Andry Rajoelina de «petit Hitler». «Pas un grand Hitler, un petit Hilter (en français) …puisque personne ne l’a élu» précise-t-il. Mamy Rakotoarivelo, le président du Congrès, a, quant à lui, annoncé une réunion préliminaire des députés de la transition pour le 22 décembre, leurs noms étant tous connus à l’exception de ceux de la mouvance Rajoelina. Il a demandé aux journalistes présents de les promouvoir auprès du public. Les institutions de la Transition seront mises en place, avec ou sans l’assentiment du pouvoir de fait.
Le retour des 3 mouvances aurait pu marquer la désescalade. Andry Rajoelina avait mentionné sa volonté de respecter la trêve de Noël. Officiellement, c’est d’ailleurs pour cette raison que la réunion du GIC (Groupe international de contact), prévue pour le 17 décembre à Antananarivo, a été reportée après les fêtes de fin d’année. Mais il n’en sera rien… Andry Rajoelina a révoqué Eugène Mangalaza, le premier-ministre de consensus le jour même où il a reposé le pied sur le sol national, pour le remplacer par Cécile Manorohanta, la vice premier-ministre en charge de l’Intérieur. Cette décision a été immédiatement condamnée par les autres parties.
Andry Rajoelina, lors de son intervention télévisée, a multiplié les gages et les promesses. Une commission électorale nationale indépendante devrait assurer la transparence du scrutin. Les temps d’antenne seront équitablement établis. La Transition servira simplement de facilitateur. Ce seront les futurs élus qui choisiront le Premier ministre. D’ici là, les membres du gouvernement expédieront les affaires courantes. Mais sa démarche, qui enterre les accords dûment signés, est condamnée par les autres protagonistes.
La future réunion du GIC accouchera sûrement d’un compromis. Sur le principe, aucun membre de la communauté internationale ne peut dénier que des élections sont la meilleure expression de la démocratie, pour peu qu’elles soient vraiment libres. D’où leur silence après cette déclaration. La France dans un communiqué, véritable exercice d’équilibre (ou d’équilibriste), a demandé des garanties de transparence, d'équité contrôlables par des observateurs internationaux et la reprise du dialogue, sans condamner.
C’est le souk total. La fin de l’année s’annonce très chaude. 2009 a été un cru exceptionnel pour les Malgaches. 2010 sera sans doute un millésime de la même veine.
Photo : une lettre inutile mais aux conséquences gravissimes.
Alain Rajaonarivony