Le ciel de Paris était grisâtre, avec parfois une ondée qui passait. Cela n’a pas entamé la bonne humeur des participants à la marche pour la liberté qui se déroulait de la Place de la République à celle de la Bastille. Ce fut une foule estimée à 3000 personnes selon la police, donc sans doute un peu plus, qui s’étira sur les grands boulevards jusqu’au génie juché sur sa colonne.
Au soleil près, les slogans, rires et chansons de ce samedi 9 mai était presque un remake du 29 juin 2002, jour d’une autre marche historique qui avait emprunté le même itinéraire et rassemblé 5000 personnes. Les mobilisations massives de la diaspora sont rares et constituent un signal fort. Elles indiquent une prise de conscience du danger qui menace la nation. Cela signifie surtout que désormais un travail de lobbying sera effectué contre les politiciens désignés comme responsables. En 2002, Didier Ratsiraka s’était enfui quelques jours après la marche.
La diaspora s’est ensuite retirée pour plusieurs années. Blasée et dégoûtée des dérives de Ravalomanana en matière de bonne gouvernance, elle a été de toute façon mise à l’écart et n’a pas obtenu le droit de vote contrairement aux promesses de 2002. Outre les grandes démocraties, la plupart des pays africains, y compris les plus pauvres (Sénégal, Mali, Maroc, Algérie…) accordent cette possibilité à leurs ressortissants.
Mais la HAT, au fur et à mesure des arrestations, répressions et délires de «jeunesse», a fini par la faire sortir de sa réserve. La désapprobation a grandi jusqu’à finalement entraîner cet engagement collectif. Il s’agit moins d’un soutien à Ravalomanana que d’un rejet de la HAT, et surtout de ses méthodes (tirs à balles réelles, arrestations illégales, humiliations publiques de personnalités). Vers 17h30, le Président «en titre» a annoncé une fois de plus son retour par téléphone aux manifestants qui ont applaudi à la nouvelle. Ils ont dansé l’ «afindrafindrao», la traditionnelle farandole devant l’Opéra Bastille. L’ambiance était festive et décontractée mais les conversations empreintes de gravité.
On aura remarqué la présence de beaucoup de jeunes au milieu des «anciens combattants» de 2002. Ces derniers ont eu pour la plupart le même cheminement dans leurs réflexions : une grande sympathie pour Andry Rajoelina au début de son combat qui s’est mué en une énorme déception puis en une attitude critique devant les violences perpétrées par l’Autorité qu’il préside.
Le 8 mai, une stèle a été inaugurée à Ambotsirohitra par la HAT en mémoire des victimes du 7 février. J’avais condamné cette tuerie innommable (voir article : «Carnage devant le palais»). Le comportement de la HAT consistant à récupérer cette tragédie pour légitimer son arrivée au pouvoir oblige à dire que ce jour là, sur la place du 13 mai, tout n’était pas «clean». Andry Rajoelina a fait dans la surenchère : « ni les fusils, ni les canons ne nous feront reculer ! » avait-il clamé. Ensuite, Monja Roindefo s’est empressé de demander à la foule de s’emparer du Palais d’Ambotsirohotra. Elle s’est alors scindée en deux car beaucoup n’approuvaient pas cette démarche. Devant le Palais, le Général Dolin a tenté une médiation de la dernière chance. Il est revenu vers les manifestants en disant : «ils vont tirer». C’est à ce moment que l’homme désigné par les forums comme celui «au complet gris» demandera aux jeunes gens des premiers rangs d’avancer malgré tout. La suite, on la connaît. Quand le moment sera venu de juger les responsables de cet épisode, Andry Rajoelina, Roindefo Monja et cet individu identifié comme un membre du parti «Tambatra» auront une petite place dans le box. Car ce drame semble avoir été souhaité par certains politiciens pour accélérer la chute du Président Ravalomanana.
L’Union Européenne a réitéré solennellement sa condamnation du coup d’état le 7 mai.
L’Autorité de transition est dans l’impasse totale mais s’obstine à refuser toute négociation. C’est une phase par laquelle elle devra pourtant passer. Plus tôt elle sera engagée et plus vite le pays sortira d’une crise qui n’a pas lieu d’être. Ce serait le signe d’un vrai courage politique de la part du président de la HAT…
Photo 1 : une banderole parmi beaucoup d'autres
Photo 2 : l'"Afindrafindrao" devant l'Opéra Bastille
Photo 3 : Jeune et ancien "combattants": Vony, responsable juridique du GTT (Gasy Tia Tanindrazana), organisateur de la marche, et Lucien, déjà là en 2002.
Alain Rajaonarivony