Ils ont donc fini par signer cette… feuille de route, à 2 heures du matin le 17 septembre, malgré un dernier baroud du déshonneur de la bande à Ratsirahonana qui a sorti un Notam (Notice To Air Men, «messages aux navigants») deux jours auparavant interdisant l’entrée de l’ancien chef de l’Etat sur le territoire national. Le texte paraphé, la version de Sandton, stipule en son article 20 le retour inconditionnel de tous les exilés et on voit mal comment un Notam courageusement non signé peut y contrevenir.
Le cinéma à l’arrivée de la délégation de la SADC, avec des jeunes payés et ramassés par une trentaine de bus, manifestant leur «hostilité» (celle des ultras de la HAT en fait), a été d’un ridicule au point que même les journaux locaux s’en sont moqués. Ces personnes, sensées être le «peuple», défendaient les intérêts des corrompus du pouvoir pour qui un accord signifie la fin de l’anarchie, de la spoliation en toute impunité des terres des paysans et de tous les trafics juteux….
Le premier moment de joie contenue passée (Maputo et Addis-Abeba sont passées par là) (voir article : «A défaut de grand pardon, le combat ou les élections»), tous les analystes retombent immédiatement sur terre. La crainte que les accords, comme leurs prédécesseurs, finissent à la poubelle est dans tous les esprits.
Mais ce protocole a une chance de tenir pour une raison simple. Andry l’a décidé, contre l’avis de Ratsirahonana (initiateur de tous les Notam passés et à venir) et de tous les ultras de son camp. Déjà la signature semble relever du miracle tant les démonstrations de refus initiées par ce groupe étaient spectaculaires (manifs, Notam, déclarations d’officiers ou de la ministre de la «justice», Christine Razanamahasoa). Mais il y a trois semaines, un évènement a ouvert les yeux du dirigeant de la Transition. Devant le cercueil de Nadine, il était décomposé tandis que sa femme pleurait à chaudes larmes. Ce n’était pas une opération de com.
Une de ses dernières entrevues avec la ministre de la Population et des Affaires sociales fut très «franche», une grosse séance de mise au point. Au moment où le gouvernement a instauré la Commission sociale (sous l’inspiration de la ministre), cette dernière avait décidé de prendre un rendez-vous avec Andry et l’a pour ainsi dire engueulé. Trop de litiges fonciers avaient fait déborder le vase. Hajo Andrianainarivelo, ministre de la Décentralisation et de l’Aménagement du territoire, était à l’origine de tous ces scandales. Mais il se sentait le «petit protégé» du président, lui avait-t-elle asséné, et de ce fait se croyait pratiquement intouchable. Elle lui a rappelé qu’elle était sa compagne de lutte des premiers instants (voir article : «Le cœur d’Antananarivo bat pour la liberté»). Si elle partait, la Transition n’avait plus lieu d’être étant donné que Roindefo Monja, le troisième compagnon de galère, n’était plus là non plus et critiquait désormais le pouvoir. Elle finira sa tirade en lui rappelant que lui pouvait partir en exil, alors qu’elle resterait là «jusqu’à son dernier souffle». Andry serait resté «bouche bée» et a assuré qu’il ne s’enfuirait jamais. Le souvenir de cet entretien a sûrement pesé beaucoup plus lourd dans la décision que toutes les gesticulations des politiciens malgaches. Et s’il a décidé d’affronter son propre camp, c’est parce qu’il a passé un cap psychologiquement…
Andry Rajoelina est en train de s’affranchir de l’influence de ses mauvais génies, Norbert Ratsirahonana et ses sbires (Hajo, Christine, et autres généraux…). Par le plus grand des hasards, c’étaient aussi les pires ennemis de Nadine Ramaroson au sein de la HAT (voir article : «Nadine ne les gênera plus»). Il ne s’agit pas maintenant que Marc Ravalomanana fasse encore l’imbécile comme à Maputo III (voir article : «Entre rires et honte, le désespoir»). Son sort est désormais lié à celui du président de la Transition, et s’il veut avoir une chance de revenir un jour, il lui faudra au contraire l’appuyer dans sa démarche. Les légalistes auraient tort de se réjouir de l’arrêt de la HCC (Haute Cour Constitutionnelle), stipulant qu’Andry Rajoelina, président non élu, ne dispose pas des prérogatives de chef suprême des armées. Sorti le 16 septembre, le jour même de la négociation des accords, cet avis est destiné à affaiblir le chef de la transition afin que les officiers putschistes puissent interdire le retour de Ravalomanana quand bien même Andry donnerait l’ordre contraire. La HCC est inféodée à Ratsirahonana, son ancien président, une évidence depuis le 17 mars 2009, jour de gloire de «l’extra-constitutionnalité» (voir article : «Ce n’est pas encore le mot de la fin»).
L’heure n’est pas aux élections présidentielles, mais à la consolidation de la paix et du retour à la normale, contre tous les maffieux en col blanc ou en uniforme d’origines diverses (karana, vazaha, chinois ou gasy). L’allocution radiotélévisée du 18 septembre où Andry a mentionné la solidarité comme seule vraie force de la nation pour se relever rappelait les accents de sa ministre de la Population.
Ce pays, qui rejette et tue les meilleurs de ses enfants, survit parce que ces derniers s’engagent et paient le prix fort, y compris celui du sang. A moins que Andry ne se fasse éliminer prématurément, ces sacrifices devront permettre au peuple, en particulier les plus modestes que Nadine voulait à tout prix défendre, de retrouver un peu de leur part de soleil…
Photo : Andry et Mialy Rajoelina devant le cercueil de Nadine. Andry a compris que le pouvoir, ce n’est pas seulement les tapis rouges et les réceptions glamour.
Alain Rajaonarivony