Le 17 novembre, quand le lieutenant-colonel Charl Andrianasoavina prit la parole au nom du Comité militaire pour le salut public (CMSP) à la base aéronavale d’Ivato (BANI), il ne savait pas qu’il allait chambouler mon planning et m’obliger à reprendre la plume. Ce n’est pas que j’ai une sympathie débordante pour Charl. Mais la sollicitation de France 24 m’avait remis dans les ornières de la crise malgache. Le 18 au matin, interrogé par Virginie Herz, j’insistais sur le fait qu’Andry Rajoelina devra faire des concessions après cette mutinerie, quelle qu’en soit l’issue... «C’est un coup d’état à la malgache» lui répondis-je quand elle s’étonnait qu’il n’y ait pas eu de combats, ni de morts. Je ne croyais pas si bien dire…
Le Général Noël Rakotonandrasana, ancien ministre de la Défense de la HAT (Haute autorité de la transition), avec une vingtaine d’officiers avaient profité du référendum acquis d’avance au pouvoir, pour tenter un coup d’état le 17 novembre. Le «commandant Charl» s’était de nouveau retrouvé devant les caméras en étant leur porte-parole. Mais il adore ça…
Ces militaires demandaient une véritable réconciliation nationale avec le retour de Deba (Didier Ratsiraka) et Dada (Marc Ravalomanana). Ils semblaient vraiment déterminés et le pauvre Camille Vital, Général et Premier-ministre de son état, se retrouvait bien démuni car tout le monde a vu qu’il n’avait aucun pouvoir sur les militaires. Personne ne voulait donner l’assaut au camp retranché. Après avoir fait mine d’être ferme, son gouvernement a engagé les négociations.
Le 19 novembre, le chef d’état-major, le général André Ndriarijoana parlementera pendant près de deux heures avec les mutins. Ca tombait bien, ils se connaissent pour avoir fait les 400 coups (d’état) ensemble ! André et Noël, avec Charl étaient les commandants du Capsat, tombeur de Marc Ravalomanana (voir article : «Attention aux erreurs d’appréciations fatales»). Les discussions furent ardues mais on est finalement tombé d’accord… on ne sait trop sur quoi. C’est à partir de là que tout se complique ! En tout cas, un chiffre revient : 1,5 milliards d’Ariary. Le 20 novembre, tout le monde se rendait. On ne sait qui a trahi qui, qui s’est mis d’accord avec qui et sur le dos de qui, de même qu’on ne sait exactement qui a bénéficié du pactole. La presse officielle se gargarise de l’assaut des FIS (Force d’Intervention Spéciale). Mais il n’y a pas eu de combats, malgré quelques tirs sporadiques, pas plus que de morts ni de blessés, heureusement ! Mais la trahison est avérée !
Dans la même journée, le président de l'association des maires élus, Guy Maxime Ralaiseheno, était arrêté sur l’esplanade d’Analakely, en plein centre de la capitale, où il voulait lire une déclaration. Le 25 novembre, il était condamné à 2 mois de prison. Comme dirait TanaNews, ça met «la seconde de mégaphone» à un prix exorbitant ! Prendre la parole est devenu est un crime ! Il paraît qu’Andry Rajaoelina a inauguré une place de la démocratie (voir article : «Le cœur d’Antananarivo bat pour la liberté»)…
Cette révolte de militaires aurait pu se terminer en drame. Beaucoup d’officiers détestent Andry Rajoelina et veulent le dégager, mais ils haïssent encore plus Marc Ravalomanana qui a humilié l’armée (voir article : «L’armée ? De l’air…»). Cette dimension ainsi que les problèmes de leadership ont affaibli le mouvement. Mais pourquoi le général Rakotonandrasana tient-il tellement à diriger la transition ? Pour se racheter car Andry lui doit, ainsi qu’au «commandant Charl» et à quelques autres, d’être au pouvoir ? Au nom de certains idéaux de la place du 13 mai aujourd’hui dévoyés…? Il semble en tout cas désapprouver totalement le chemin pris par la Transition, loin des promesses de démocratie et de renouveau.
Mais les vrais cocus de l’histoire sont les légalistes. Les quelques officiers favorables à l’ancien président se sont retrouvés directement en maison de force à Tsiafahy, en particulier le général Raoelina. Le gros des mutins, ratsirakistes, ont d’abord été simplement retenus dans des camps alors que ce sont bien ceux qui ont mené cette mutinerie. Le colonel Coutiti a eu droit à un traitement spécial car il aurait menacé Andry Rajoelina. Le 23 novembre, on apprenait que ce dernier ainsi que le Général Raoelina étaient sérieusement blessés suite aux coups reçus après leurs arrestations…
Comme lors de l’incarcération de Fetison Andrianirina, le pouvoir a bien séparé les ravalomananistes des ratsirakistes. Le leader de la mouvance Ravalomanana et deux de ses compagnons, Edouard Tsarahame et Zafilahy Stanislas, ont été mis en prison à la suite d’une manif, le 10 novembre, d’abord autorisée puis interdite au dernier moment. Les quelques échauffourées qui s’en sont suivies ont servi de prétexte pour les mettre à l’ombre alors que les autres dirigeants du mouvement ont été laissés en liberté. Depuis, les captifs sont «balladés» d’une geôle à l’autre, d’Ambatolampy à Fianarantsoa en passant par Vatomandry. Leur procès était prévu pour le 23 novembre mais le pouvoir les ayant escamotés - leurs avocats ne savaient même pas où ils étaient -, l’audience est reportée au 25 janvier 2011.
Ce même jour, le professeur Raymond Ranjeva, juriste, ancien magistrat à la Cour Pénale Internationale, et qui aimerait diriger une Transition neutre, était appréhendé, sa fille l’ayant déjà précédé en garde à vue. Ils seront relâchés quelques heures après mais cette action du pouvoir provoquera un véritable émoi à Antananarivo. Ce n’était que partie remise car trois jours après, le 26, ils seront de nouveau arrêtés. Le père sera libéré sous caution, Riana, la fille, enceinte, condamnée à la prison pour…«insultes». Elle sera finalement transférée à l’hôpital sur intervention de l’ambassadeur de France.
Le fameux referendum est considéré par le Comité national d’observation électoral (Cnoe) dans son rapport comme la consultation la plus calamiteuse depuis 20 ans. Des morts ont voté tandis que des vivants n’étaient pas inscrits sur les listes électorales (cela rend plus facile les falsifications). Le pouvoir a utilisé tous les moyens de l’Etat, en faisant un véritable forcing pour le «oui» et des actes d’intimidation ont eu lieu. Malgré cela, le taux de participation est resté faible. C’est pour cela qu’il a été gonflé (de 34% à Antananarivo, il est passé brutalement à plus de 50% en une journée).
La HAT vire au régime fasciste : arrestations arbitraires, tortures, atteintes aux droits fondamentaux, élections bricolées, menaces sur la presse... Roindefo Monja, l’ancien Premier ministre, a qualifié Radio Viva de «Radio Mille collines». Incitations à la haine, diffamations, dénonciations calomnieuses sont monnaie courante sur ses antennes. Dire qu’on a défendu cette radio quand elle avait été fermée par Marc Ravalomanana, au nom de la liberté d’expression (voir article : «Viva la libertad !»). Les feuilles de choux électroniques de la HAT sont obligées de se faire de la pub dans les forums de Sobika.com, un des sites de référence de la diaspora. Eux-mêmes ont supprimé leurs propres forums. Ce qui ne les empêche pas de donner des leçons aux autres journalistes. TvPlus, Matv et la radio Fréquence Plus ont reçu des lettres de mise en demeure de la part du pouvoir dès le 18 novembre. Ils ont eu le tort d’avoir couvert les évènements de la BANI.
Fin de cet épisode ! On espère qu’Andry Rajoelina mettra cette alerte à profit pour reparler avec Marc Ravalomanana et trouver une solution pacifique et pérenne à la crise car la chance ne sera pas toujours au rendez-vous. La représentante de l’Union Européenne, Catherine Ashton, demande à tous les protagonistes de reprendre «urgemment» le dialogue. Ce qui vient de se passer n’est pas un simple épiphénomène. La prochaine fois, l’armée ne ratera pas Andry Rajoelina, en état de faiblesse comme son devancier qu’il a contraint à l’exil. La première fois, Andry Rajoelina s’était réfugié à la Résidence de France (voir article : «Attention aux erreurs d’appréciations fatales»). Cette fois-ci, des dispositions avaient été prises pour l’exfiltrer…
Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana se ressemblent de plus en plus. «Affaire Daewoo» ou «Bois de rose», c’est du pareil au même! Les Chinois sont en train de s’installer. Et question corruption, l’élève est en passe de dépasser le maître. De plus, tout comme son prédécesseur, Andry Rajoelina commence à manipuler le peuple avec des concepts chrétiens («Je vous aime», «Fitiavana») qui se traduit dans les faits par des arrestations arbitraires, tortures et autres violences de l’état (mais c’est Marc Ravalomanana qui a inauguré l’ère des grenades lacrymogènes). Attention à ne pas aller trop loin dans ce domaine car on ne se moque jamais impunément de Dieu (voir article : «Ravalomanana, le meilleur et le pire»), l’ancien président en sait quelque chose !
Madagascar va encore connaître de graves turbulences. Sur France 24, j’ai parlé de la nécessaire «intelligence politique» pour que le pays s’en sorte sans trop de casses. Mais c’est sans doute trop en demander à des dirigeants qui ne sentent plus et se croient tout permis. Ils sont en train de transformer Madagascar en enfer...
Demain sera un autre jour, le peuple finira par trouver le moyen de se débarrasser de la HAT et de son inconscient de président qui mène la nation vers le gouffre. Andry Rajoelina est bien en train de faire en 2 ans ce que les autres n’ont pas réussi en 50 : détruire tous les repères moraux… Il mériterait d’avoir les honneurs de la série «Lie to me» basée sur les travaux du psychologue américain Paul Ekman, spécialiste de l’expression faciale des émotions. Les policiers sont sensés deviner quels sont les vrais sentiments des suspects en analysant les mouvements de leurs sourcils ou de leur bouche. Andry Rajoelina renie ses signatures, ment et entourloupe le petit peuple avec un merveilleux aplomb et un sourire enjôleur…
Pour finir, un petit proverbe italien à méditer : «La faute est d’autant plus grande que l’amour est petit !»
Bon ! Cette fois-ci, je vous laisse…
Photo 1 : Certains ont cru à la réussite du coup d’état et ont commencé à ériger des barrages pour soutenir les mutins. Espoir déçu… !
Photo 2 : Fetison rend visite à Raharinaivo en prison et en grève de la faim en novembre 2009. Un an après, les rôles se sont renversés. Mais la HAT continue tranquillement à emprisonner et à détruire des vies.
Photo 3 : Virginie Herz qui m’a interrogé sur France 24. Elle connaît le dossier Madagascar pour y avoir été aux heures chaudes du coup d’état. C’est son équipe qui a filmé les vieux ripoux en train de cogiter sur la façon d’accuser Ravalomanana d’être un criminel. Ils y réussiront le 7 février.
Alain Rajaonarivony