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  • : Le blog de Alain Rajaonarivony
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  • Alain Rajaonarivony

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 09:10

 

 

J’étais parti pour écrire un article sur la réélection d’Obama. Mais le pouvoir malgache a de nouveau attiré l’attention par des massacres, des diatribes et ces circonvolutions juridiques dont il a le secret. Dans sa lutte contre les Dahalo (bande de voleurs de zébus), la force spéciale engagée dans l’opération «Tandroka» (cornes) dirigée par le colonel Lilyson a incendié une vingtaine de villages, tué des dizaines de personnes parfois à coup de lance-roquettes et semé la terreur. Des milliers de paysans ont fui leurs villages. Les témoignages commencent à remonter, ce qui a fait réagir Amnesty International, mal informée bien sûr, selon le pouvoir. Cette dernière demande «qu’on mette fin aux massacres et qu’on enquête sur les forces de sécurité».

 

2012 villa ge brûlé dans le Sud. Image récupéré sur FDe retour dans la capitale après plusieurs semaines passées sur le terrain, le colonel René Lilyson a accusé, pour se disculper, l’ancien président Marc Ravalomanana, en exil depuis bientôt 4 ans en Afrique du Sud, d’être responsable de l’action des Dahalo. Les preuves qu’il affirme détenir, l’opinion publique les attend toujours. Mais ces déclarations tonitruantes ainsi que celles du Général Richard Ravalomanana ont, semble-t-il, fait déborder le vase. D’habitude très pondéré dans ses propos, Mamy Rakotoarivelo, président du Congrès de la Transition et chef de la mouvance de l’ex-président est sorti de ses gonds : «ce n’est plus de la dictature qui existe actuellement mais du fascisme» s’est-il exclamé lors d’une conférence de presse (très tendance en ce moment) au Colbert le 15 novembre. Devant le flot d’«allégations» et d’ «accusations gratuites» fortement médiatisées, il a donc décidé de porter plainte contre ces 2 officiers pour «diffamations», terme aussi très à la mode depuis que ce régime est en place… Mais pour une fois, ce ne sont pas les caciques du pouvoir qui saisissent la justice à leur profit mais des opposants. Il ne reste plus qu’à voir si elle agit avec autant de célérité lorsqu’il s’agit de plaintes contre les dirigeants.

 

Car l’accusation de «diffamation» est désormais utilisée à grande échelle. Le prince Patrick Zakariasy qui a dénoncé le trafic de Bois de rose (voir article : «Madagascar : Un pays trop riche, des dirigeants trop pourris, un peuple trop… ?»), en prison actuellement, en sait quelque chose. L’Etat a tout simplement violé la procédure, dixit Me Olala, son avocat. Le 12 novembre, après une nouvelle audition à la Gendarmerie dans la matinée, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre le prétoire pour entendre, confiant, le verdict, le procureur en a décidé autrement. Sous prétexte de  vouloir plus de temps pour étudier les dossiers, il l’a renvoyé à la gendarmerie qui l’a mis illico sous mandat de dépôt. Le procureur a «innové» dans la procédure…

 

Prince Zakarias 1107 557895844237015 816729886 nLes compagnons d’infortune du Tangalamena, quatre journalistes eux aussi accusés de «diffamations» et de «propagations de fausses nouvelles» par Mamy Ravatomanga, visé par les révélations, auront plus de chance. Appartenant à la rédaction de Midi Madagasikara, La Nation et Gazetiko qui avaient rendu compte de la conférence de presse du Tangalamena, ils se retrouveront libres alors que Zakarias était traîné en prison. Il est vrai que le 11 novembre, veille de leur déferrement au parquet, Reporters sans Frontières avaient sorti un communiqué pour dénoncer le harcèlement judiciaire dont fait l’objet les gens de presse ainsi qu’un blogueur (euh… c’est moi !). Le Syndicat des journalistes malgaches a lui aussi réagi en parlant d’une «plainte qui s’apparente à un acte d’intimidation» à leur égard. Cette médiatisation et cette mobilisation ont sûrement joué en leur faveur. Le Syndicat ne s’est pas arrêté là mais a organisé une table ronde le 16 novembre à laquelle assistaient des représentants de l’Ambassade américaine, sud-africaine, française, de la SADC et de l’Union Européenne. Les journalistes ont dénoncé l’attitude partiale du Ministère de la communication (dirigé par Rolly Mercia), à la fois «juge et partie», la collusion trop fréquente des patrons de presse avec le pouvoir, la corruption qui gangrène tout, l’acharnement de certains individus proches des cercles dirigeants à l’encontre des médias d’opposition…

 

Quant à Patrick Zakariasy, il n’a retrouvé le juge le 13 novembre que pour être ramené en cellule. L’humour noir ayant encore droit de cité sur les forums, un internaute écrira que c’est parce que «Princes sans frontières» n’existe pas encore. Un système corrompu et maffieux ne peut tourner que si l’omerta est appliquée. Le chanteur populaire Savory est menacé de mort car il a participé à un documentaire produit par  Alexander Von Bismarck (pour la petite histoire, lui aussi descendant de la grande noblesse allemande) qui a enquêté sur le trafic du Bois de rose. Savory n’a trouvé le salut que dans le soutien de ses amis étrangers qui l’ont fait s’enfuir du pays.

 

2011 Enfants dans les bennes à ordures photo 427 (Small)


Plutôt que des procès en «diffamations» à répétition pour tenter de mettre sous le boisseau des faits très graves, laissant les citoyens ayant le courage de témoigner en danger, l’Etat malgache ferait mieux d’ouvrir des enquêtes sur ces affaires. C’est ainsi que l’on procède dans les états de droit, et ce sera la seule façon de regagner la confiance des citoyens. Alain Ramaroson, qui a les pires ennuis avec le régime depuis sa conférence de presse, se bat pour lancer des commissions d’enquête parlementaire sur les Massacres dans le Sud, le trafic de Bois de rose et la disparition de l’ancienne ministre de la Population et des Affaires sociales…

 

Trafics en tout genre, prostitution pour survivre, déscolarisation des enfants, manque d’oxygène dans les hôpitaux, insécurité, pauvreté en hausse vertigineuse, massacres, dirigeants criminels et arrogants prêts à tout… Constat amer d’un politicien : «Il n’y a plus que dictature, persécutions et abus de pouvoir à Madagascar !» Les évêques, à la fin de leur Assemblée plénière le 17 novembre ont sorti un communiqué au vitriol dénonçant la « spoliation des richesses nationales» en détaillant «bois de rose, fer, pierres précieuses, pétrole, bœufs… et confiscation des terrains».  Entre autres phrases assassines : «le règne de l’Anarchie : corruptions, cambriolages, feux de brousse, assassinats…» et la «justice … pour les protégés du régime». Mais l’impasse est faite sobrement sur le rôle de Monseigneur Omar (Odon Marie Razanakolona) qui a approuvé la violence dans la prise de pouvoir mais amorcé depuis un début de repentance…

 

Nadine à Maintirano Photo 151En ce qui me concerne, l’audience est prévue le 8 janvier 2013 à Paris, suite à la plainte pour «diffamations» initiée par le vice-premier ministre du Développement et de l’Aménagement du Territoire malgache. Ce sera à 13h30, à «la 17ème Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris, sis 4, boulevard du Palais – 75004 Paris».

 

Cette affaire fait suite à la conférence de presse d’Alain Ramaroson du 28 septembre dernier (voir article : «Madagascar : Premières révélations sur l’assassinat de Nadine Ramaroson»). L’historique de ce litige a été décrit de manière très détaillée par TanaNews (voir leur article : «Ennemi d’Internet : Quand le Vice Premier ministre Hajo Andranainarivelo s’acharne sur un petit blogueur journaliste malgache»). La suite s’écrira donc le 8 janvier, au tribunal de Paris où je serai présent. Reporters sans Frontières a intégré cette démarche de Hajo Andrianainarivelo dans le harcèlement que subissent les gens de médias de la part des dirigeants. Plusieurs journaux malgaches ont repris ce communiqué.

 

Certains sont déjà en prison, d’autres sont convoqués à la gendarmerie comme de vulgaires malfrats, menacés ou pire… Je n’oublie pas que Nadine a été tuée pour avoir défendu les idéaux que nous avions en commun…

 

Il y a clairement un prix à payer pour qui veut se révolter contre l’injustice. Tant que les Malgaches trouveront que c’est trop cher payé, et considèrent que c’est plus facile de profiter du sacrifice des autres (exprimé par une métaphore : «Tsy namono voay fa miravaka ny vanginy»), ils occuperont les dernières places dans tous les domaines. Ce sont celles qui reviennent de droit à ceux qui ne veulent prendre aucun risque.

*(«Se parer des crocs du crocodile qu'on n'a pas tué»)

 

Nelson Mandela est issu d’une famille royale de l’ethnie Xhosa, et était avocat, mais il s’est levé pour lutter pour l’égalité des droits avec l’African National Congress (ANC). Cela lui a coûté 27 ans de prison mais il en est sorti vainqueur. Il se répétait un poème dans sa cellule de Robben Island, celui que William Henley avait écrit en 1875 quand ce dernier était cloué, amputé du pied, sur son lit d’hôpital, «Invictus».

 

Dans les ténèbres qui m’enserrent,mandela-prison
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,

Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,

En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Et je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,

Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.

             

Le 20 avril 1964, avant d’être condamné à la prison à vie, Mandela déclarera : «J’ai défendu l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle tous les individus vivraient ensemble en harmonie et bénéficieraient de chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et que j’espère voir se réaliser. Mais c’est un idéal aussi pour lequel, s’il le faut, je suis prêt à mourir». 

 

Il sera relâché le 11 février 1990 et sera élu Président le 9 mai 1994.

Les premiers seront les derniers…

 

L-homme-au-drapeau.jpgIl y a ceux qui sont prêts à tuer pour défendre leurs intérêts (transformés en «intérêts supérieurs de la…ration», pour utiliser un jeu de mots cher aux éditorialistes de TanaNews). Et puis, il y a ceux qui sont prêts à mourir pour leurs idéaux, qui paient de leurs libertés et de leurs vies. C’est avec ceux-là qu’une nation se bâtit.

 

Aux Malgaches qui ont encore le courage de se lever et de se tenir debout…. !

 

Photo 1 : 2012, village brûlé dans le Sud de Madagascar. Photo récupérée sur Facebook

Photo 2 : Le Prince Patrick Zakarias jeté en prison le 12 novembre pour avoir dénoncé le trafic de bois de rose

Photo 3 : Des enfants en train de fouiller une benne à ordures. Image de la (sur)vie quotidienne à Antananarivo

Photo 4 : Nadine Ramaroson. Trop populaire, elle a eu tort de dénoncer la corruption à grande échelle, le trafic de Bois de rose, la spoliation des terres…

Photo 5 : Nelson Mandela, un exemple pour l’Afrique, respecté dans le monde entier. Une force morale qui a préservé son pays du désastre, de la vengeance et de la haine. Tout le contraire du pouvoir malgache actuel.

Photo 6 : Mars 2009, un homme avec son drapeau. Razily est debout, seul face aux brutes casqués et armés. Combien de spectateurs? Liens de l’article qui raconte cet épisode et de la vidéo de cette scène historique.



Alain Rajaonarivony

 

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commentaires

B
Un organisme corrompu au service de l'état américain. En faisant sa déclaration publique du 20 novembre 2012, monsieur Christian MUKOSA de l’Amnesty International n’a jamais été dans le sud de<br /> Madagascar pour voir de visu ce qui s’est passé et entendre les témoignages des habitants locaux. Durant son séjour au pays, il était tout le temps dans la Capitale et a seulement recueilli des<br /> témoignages à objectif politique faits par des individus qui n’ont jamais été dans le sud de Madagascar depuis le début du déclenchement de l’opération de sécurisation jusqu’à ce jour.
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A
<br /> <br /> Je publie votre comment dont je ne partage, ni les a-priori, ni les conclusions, mais le débat fait partie intégrante de la démocratie et de la liberté d'expression. Un organisme comme Amnesty<br /> International dispose de relais sur le terrain, en plus de remontées d'informations plus discrètes provenant de sources diplomatiques ou de l'appareil administratif du pays concerné. Un<br /> communiqué condamnant les violations des droits de l'homme dans un pays n'est pas publié sur un coup de tête.<br /> <br /> <br /> <br />