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19 février 2009 4 19 /02 /février /2009 18:05


Cet article a été écrit le 16 novembre 2005 et devait paraître dans une revue. Au dernier moment, il a été enlevé du sommaire sans mon assentiment. Mais il a été quand même lu par les initiés et sans doute aussi par les principaux membres du pouvoir. Prenant acte que mes prises de position gênaient ou faisaient peur, je me suis retiré du contexte malgache pendant plusieurs années, jusqu’à ce que la situation se dégrade tellement que le silence devenait complicité. Nous sommes aujourd’hui le 19 février 2009. Ce qui se passe sous nos yeux était prévisible.

Ci-dessous de larges extraits de cet article.



La tentation fatale



Retour à l’hôtel situé au cœur d’Antananarivo vers 18 heures. Une lumière tamisée baigne le couloir. « Ils ont recréé une certaine ambiance » pensai-je en regagnant ma chambre tout en admirant les bougeoirs dont le scintillement renvoie à l’atmosphère d’une demeure de gouverneur des colonies. Ce n’est qu’après avoir appuyé deux ou trois fois sur l’interrupteur que je comprends. Le fameux « délestage » qui pourrit la vie des citadins depuis des mois a encore frappé. Les bougies ne sont pas là pour la décoration. Nous sommes au mois d’octobre 2005 dans la capitale de Madagascar.


La compagnie d’électricité, la JIRAMA, a pris l’habitude de couper quotidiennement pendant deux ou trois heures son approvisionnement. Les quartiers de la ville s’illuminent ou sont plongés dans le noir à tour de rôle. Les entreprises se retrouvent en chômage technique, leurs machines explosent parfois, les particuliers prient pour que les malfaiteurs ne profitent pas de l’obscurité, les restaurateurs râlent parce qu’ils perdent leurs clients… Bref, tout le monde « profite » largement des économies que la Jirama tente de faire pour tenir la tête hors de l’eau. Surendettée, la société nationale est sous perfusion … 

Le retour des 4’mi


Dès le lever du jour, la vie reprend ses droits. La ville grouille de monde. Les véhicules, mal entretenus, fument à qui mieux-mieux, permettant à Tana de décrocher le titre peu enviable d’une des villes les plus polluées du monde. Près des grands hôtels, à deux pas de la Présidence, une odeur entêtante d’urine se dégage parfois des trottoirs. Les beaux quartiers agissent sur les miséreux comme un aimant. Les 4’mi (« mi » comme « misère ») sont revenus. Venus pour mendier, sans domicile fixe, ils se soulagent sur la voie publique si c’est nécessaire.


Ces déracinés, apparus sous la révolution avec l’exode rural, étaient en voie de disparition grâce à l’action d’Ong et de personnalités agissantes dont la figure emblématique est le Père Pedro. La dégradation économique qui a suivi la dévaluation de 2003, a fait basculer une partie de la population dans la précarité et rejeté dans la rue les plus vulnérables. Et pourtant, cette année là, ces « sans-domicile fixe » ont bénéficié d’un certain nombre de programmes de reclassement qui ont donné beaucoup d’espoirs. Mais le suivi dans le temps a manqué.


Paradoxalement, les réalisations du nouveau pouvoir sont manifestes, voire même spectaculaires. Antananarivo a vu s’ouvrir plusieurs boulevards, des quatre-voies qui n’auraient pas déparé dans une ville européenne, pour fluidifier une circulation chaotique et faire respirer la cité. Mais aussitôt construits, des petites maisons en briques s’édifient tout le long, plus proches de bidonvilles que de building futuristes… Antinomie ! Ce terme semble illustrer les difficultés du régime.


Les infrastructures construites et les réformes lancées sensées améliorer la vie des citoyens n’ont pour l’instant aucun impact sur le quotidien. Transparency International note une aggravation de la corruption alors qu’un organisme a été spécialement créé pour lutter contre ce fléau. Le Président proclame son attachement à la liberté de la presse. Dans le même temps, Reporters sans frontières fait état d’un durcissement des conditions de travail des journalistes. Médecins sans Frontières a quitté l’île au début de l’année, las de faire le boulot du Ministère de la Santé. Ils en étaient arrivés à assurer la couverture sanitaire de la population au lieu de la médecine d’urgence.


Explosion assurée


Les Malgaches, et les Tananariviens en particulier, pour l’instant encaissent et serrent les dents. Leur sentiment peut être résumé par cette réflexion d’un cadre des Douanes. « Ravalomanana a construit les routes. C’était nécessaire pour faire sortir les récoltes et permettre aux gens de se déplacer. Nous lui reconnaissions bien volontiers ce mérite car les autres avant lui n’ont rien fait. Mais maintenant, il faut qu’il pense aux gens, à leur donner un salaire décent, car la vie avec la dégradation de la monnaie est devenue très dure. S’il ne fait rien, et quelles que soient ses réalisations, cela explosera… »


Mais l’Etat ayant largement vécu au-dessus de ses moyens et dépassé son budget à cause de réquisitions financières non programmées, on ne voit pas trop comment il pourrait répondre de manière satisfaisante à ses fonctionnaires malgré quelques efforts de rattrapage. Pour leur restituer simplement leur pouvoir d’achat de 2002, il faudrait les augmenter de 50%. Totalement concentré sur les réformes économiques, le pouvoir a négligé l’accompagnement social. Le Smig, salaire minimum légal, est toujours à 21 Euros par mois, le plus bas du monde… Les conséquences sont dramatiques dont une des manifestations évidentes se voit dans les rues de la capitale : des familles entières dorment sur les trottoirs... Mais tout le long de la RN7, les 1000 kilomètres qui séparent la capitale de Tuléar, au bord de la mer, on peut aussi le percevoir. Le paysage est désolé, tout est carbonisé. Ceci n’est pas dû simplement à la fameuse culture sur brûlis, une coutume désastreuse entretenue par la pauvreté ambiante. Les paysans en plus se sont mis à la fabrication du charbon de bois, rentable et très en vogue depuis le renchérissement du prix du pétrole…et du gaz domestique. Taxis-brousse et camions de tous gabarits remontent sur la capitale chargés de sacs de charbon. Cette exploitation se fait de manière sauvage, sans respect des règles et des reboisements. Elle s’apparente plus à une lutte pour la survie qu’à une production rationnelle. N’importe quel arbre est abattu, âgé ou pas, le moindre bosquet fume tristement. Le renouvellement de la forêt n’est pas assuré.


Pendant ce temps, dans les salons huppés des grands hôtels, on multiplie les séminaires sur la préservation de l’environnement et le gouvernement engrange des millions de dollars offerts généreusement par les pays riches pour créer des zones préservées.


Une minorité toujours plus riche


Marc Ravalomanana, soutenu par un immense élan populaire, a commencé son mandat sous les meilleurs auspices après la fuite de Didier Ratsiraka, son prédécesseur, en France.


A un an de la fin de son mandat pourtant, le bilan du nouveau président est des plus contrasté : des réalisations indéniables, en particulier dans le domaine des infrastructures et un désastre social tout aussi patent. On est très loin des promesses de l’amélioration du niveau de vie de la grande masse. En moyenne, le pouvoir d’achat a baissé de moitié. Et si la plupart des entreprises locales continuent de souffrir et de tirer le diable par la queue, quelques groupes dont celui du Président, ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Ce qui permet aux Tananariviens de proclamer ironiquement : « Le pouvoir a quand même tenu une partie de ses promesses. Les riches sont devenus effectivement plus riches… », allusion à une formule présidentielle pouvant être résumée ainsi : « les riches resteront riches et les pauvres s’enrichiront ! ». Au-delà de l’humour noir, cette constatation tourne presque à la révolte lorsque des citoyens de base ( employés et cadres confondus) jettent rageusement : « Les routes ont été construites pour que les riches puissent y rouler avec leurs belles voitures. Pour nous, même le bus devient hors de portée… ». Le tarif des transports urbains est passé de 200 à 300 Ariary, augmentation du prix du gazole oblige. 


..

Une opposition en déphasage


Si l’on exclue les « miracles » comme l’exploitation du gisement pétrolier de Bemolanga, à l’ordre du jour depuis quarante ans, ou les gesticulations destinées à reconquérir le cœur des Tananariviens (mais qui ont plutôt le don de les exaspérer) - la réhabilitation « rapide » annoncée du Rova par exemple -, le gouvernement n’a plus beaucoup d’atouts dans sa manche. Les dettes ont été effacées, les aides se sont chiffrées en centaines de millions de dollars sans aucun impact sur le quotidien. La population a accepté stoïquement trois ans de sacrifices sans pratiquement d’augmentation de salaires malgré une inflation galopante. Elle arrive maintenant à bout de résistance. En guise de réponse à leurs angoisses, les citoyens ont droit à la crispation du pouvoir. Dans ce contexte, on peut se demander pourquoi l’opposition ne fait pas un carton. La réponse est simple. La plupart de ses membres ont eu l’occasion de diriger le pays et ont réussi à le mener dans une crise économique et politique dont le bouquet final fut, si l’on peut dire, l’incendie criminel du Palais de la reine, le fameux Rova.


N’ayant pas beaucoup changé dans leurs conceptions, ils se retrouvent en déphasage avec une population en attente de vrais débats sur l’avenir de la société, à l’exemple des grands partis européens, loin d’une gestion à « l’africaine », où déstabilisation institutionnelle et gouvernement de transition sont les normes. Leur incapacité à s’adapter à une évolution très rapide de la réflexion de leurs concitoyens reste la chance du gouvernement.


Dans cet univers politique proche du cloaque, seul Alain Ramaroson, responsable du « Mouvement des citoyens » tente de relever le débat en dénonçant les dérives sans remettre pour autant en cause la légitimité du chef de l’état. Mais son passé de conseiller du Président Zafy, dont les déclarations tonitruantes et extrémistes frisent souvent le ridicule, est un véritable boulet. Ses adversaires ne se privent pas de le lui rappeler.


Débats absents, contre-pouvoirs inexistants, responsables politiques sur leurs gardes et prompts à crier au complot, le décor est planté pour une dernière année de mandat de tous les dangers. Si la colère populaire s’exprime, la police, chouchou du nouveau régime, ne pourra pas plus la contenir que la Garde présidentielle de Didier Ratsiraka.


......


De tentations en tentations


Depuis son élection, le Président est tombé dans plusieurs tentations. D’abord celle de mélanger les intérêts du pays avec ceux de son groupe industriel, attitude dénoncée de manière virulente par les opposants et faisant la une des journaux de manière récurrente. On ne prête qu’aux riches et Ravalomanana l’était déjà avant son arrivée au pouvoir. Mais il n’est un secret pour personne que Tiko a profité très largement des détaxations ainsi que des voyages à l’étranger de son directeur-chef d’état. Péché véniel peut-être, Tiko étant déjà à l’origine un groupe florissant, sauf qu’à force de toucher à tout, il a fini par fausser les règles du jeu et la concurrence. L’entreprise présidentielle importe par exemple du savon bénéficiant de préférences douanières de L’Ile Maurice au grand dam des 35 savonneries locales dont la taxation des intrants se verra augmenter en 2006. Cela ne s’appelle pas pratiquer la préférence nationale ou favoriser la création d’emploi. Les industriels ont tenté d’alerter le gouvernement sur cette incohérence pour l’instant sans succès.


Le deuxième travers auquel n’a pas échappé le chef de l’Etat est sa propension à gouverner seul. Son expérience de dirigeant de société l’y prédisposait sans doute. Il voit plus dans ses ministres et conseillers des subordonnés que des collaborateurs à écouter et à suivre. Lors d’un voyage officiel à La Réunion, il a laissé échapper lors d’une conversation : « il faut des secrétaires exécutifs… car les ministres sont lents… ! » Le manager commande, les autres exécutent. Mais au-delà de cette caricature, il y a peut-être une autre raison plus profonde. Ravalomanana a réussi à Madagascar, dans un contexte très dur moralement où trahisons, lâchetés et perfidies étaient des valeurs en vogue. C’était pendant la Révolution où il était de bon ton de se moquer des conceptions simples des honnêtes gens comme la droiture ou la compassion. De fait, on raillait même abondamment la Bible dans les discours officiels. Est-ce un hasard si le slogan du candidat à la Présidence a fait justement référence à ces sentiments et au Livre Saint ? Le meurtre pour des motifs politiques était courant, le degré de bassesse morale atteint étant abyssal. Dans ce contexte, secret et solitude étaient une nécessité vitale. Les réflexes sont restés. On lui reproche souvent de préférer  s’entourer d’experts étrangers. Mais il est trop bien placé pour ne pas savoir que ses plus proches collaborateurs ont placé toutes leurs familles et amis aux postes de responsabilité au détriment des véritables compétences. C’est déjà une forme de trahison et de sabotage qui explique aussi en grande partie le déficit en ressources humaines dont souffre cruellement le pays. Les meilleurs sont ailleurs. Le népotisme comme la corruption est mortel pour le développement d’un pays. Au-delà de sa tendance naturelle à prendre des décisions de manière unilatérale, Ravalomanana n’a sans doute pas grand monde à qui il peut déléguer de lourdes responsabilités sans risques de dérapage. « On n’est jamais mieux trahi que par les siens » est un adage bien assimilé à Madagascar, et cela depuis que Ranavalona III, la dernière reine, a été abandonnée par ses propres généraux et gouverneurs aux mains des Français…



Pas de développement sans prise de risques


« High risk, high profit !» a lancé le Président devant une assemblée de la diaspora captivée en février 2003, au Palais de l’Unesco à Paris. Mais pour l’instant, les mesures innovatrices comme la détaxation ou le droit de propriété aux étrangers n’ont pas produit les effets bénéfiques escomptés. Les risques n’ont pas été assumés jusqu’au bout, la détaxation a été limitée à deux ans, provoquant une ruée des spéculateurs qui en important en masse pour stocker, ont fait chuter la monnaie. A quelques exceptions près, les industriels, à la trésorerie saignée à blanc par la crise de 2002, n’avaient pas les moyens d’en profiter pour changer leurs machines. La détaxation aurait dû être pensée sur le long terme comme, par exemple, à l’Ile Maurice. Quant aux investisseurs, il leur aurait fallu des interlocuteurs crédibles, pour  être rassurés et les inciter à franchir le pas, non seulement à Madagascar mais surtout dans les ambassades qui sont leurs premiers contacts. Mais là encore, les nominations n’ont pas suivi. Le seul résultat perceptible est une dégradation de l’image du pays ces deux dernières années. En n’allant pas jusqu’au bout de leur logique, les Malgaches ont perdu sur tous les tableaux.



Pour un destin exceptionnel


Il reste cependant un dernier challenge à tenter que seul le Président pourrait relever.

Risque important certes, mais avec à la clé un profit maximum, à condition qu’il ne tombe pas dans la tentation fatale de considérer que rester au pouvoir à tout prix est la seule solution. Sa popularité est en chute libre mais il peut la remonter en une seule opération qui prendrait à contre-pied tout le monde : annoncer qu’il ne veut pas briguer un second mandat.


Zafy a quitté le pouvoir après avoir perdu les élections en 1996. Il est néanmoins très respecté par ses pairs africains car il est l’un des rares sur le continent à avoir accepté l’alternance démocratique. Ces derniers mois, Togo ou Côte d’Ivoire ont continué de rappeler au monde que les élections s’y terminent plus souvent en bains de sang qu’en poignées de mains. Le comportement de Didier Ratsiraka et de ses sbires en 2002 suffit largement à faire comprendre pourquoi l’ex-président Zafy est devenu une référence. S’ils sont quelques-uns à avoir quitté leur fauteuil présidentiel pacifiquement, encore plus exceptionnels sont ceux qui ont accompli cette démarche sans qu’ils en aient eu l’obligation. On les compte sur les doigts d’une seule main. Parmi ces Sages de l’Afrique figurait l’ancien Président du Sénégal, Léopold Sedar Senghor  et actuellement le Sud-africain Nelson Mandela. Ce dernier continue d’être reçu avec tous les honneurs, des Etats-Unis à la Russie en passant par le Japon ou le monde arabe. Ses avis sont écoutés avec la plus grande attention. A chaque fois que les Grands désirent entendre la voix de l’Afrique, c’est à lui qu’ils s’adressent naturellement.

Son prestige personnel et celui de son pays n’ont jamais été aussi grands que depuis qu’il a décidé de se retirer…


Nelson Mandela est envié mais peu de responsables sont capables de suivre son exemple. Il faut plus de courage pour renoncer au pouvoir que pour s’y accrocher. En théorie, disposer d’une telle stature, être honoré au niveau mondial, est des plus séduisant. Un avenir semblable vaudrait bien de sacrifier un mandat  aléatoire de quelques années où il faut batailler pour échapper aux foudres des opposants et ne pas basculer dans les poubelles de l’histoire. Bien d’ex-puissants en exil doivent regretter amèrement de n’avoir pas su quitter la scène au bon moment. Pour pouvoir prendre ce genre de décision, il faut disposer d’une certaine étoffe que Marc Ravalomanana semble posséder.


Si au niveau international, sa voie serait tracée, sur le plan intérieur, sa popularité remonterait au zénith. Les Malgaches seraient fiers d’un Président capable d’un acte d’une telle portée  et ne retiendraient que les côtés positifs de sa législature, comme la construction d’infrastructures qui resteront pour les générations futures. Quant à l’opposition, elle serait réduite à néant. Pour l’avenir, ce serait tout bénéfice pour le Président. En cas de réussite de son successeur, il pourra dire que ce dernier aura bâti sur les fondements solides qu’il a posés. On fait d’ailleurs toujours référence à Nelson Mandela pour tout ce qui est positif en Afrique du Sud. Les échecs doivent par contre être assumés par Thabo Mbeki qui souffre de la comparaison. 


A un an des échéances, tous les observateurs politiques considèrent que Marc Ravalomanana va tenter un deuxième mandat. Mais le maître du jeu n’a pas encore abattu ses cartes ...



Ecrit le 16 novembre 2005

Alain Rajaonarivony




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