La confédération générale des syndicats des travailleurs (Fisema) a suivi les Assises concurrentes organisées par la HAT (Haute autorité de transition) à Ivato et les« légalistes » au Carlton au même moment, le 2 et 3 avril. Ses conclusions sont tout autant inquiétantes que sans illusions : « aucune amélioration tangible du niveau de vie de la population, ni stabilité pérenne ne sont à espérer ».
Présentées par le pouvoir comme l’issue à la crise politique, la réalité a tôt fait de reléguer les Assises à leur vraie place : une grande messe, sans la présence de la partie adverse, servant d’alibi démocratique. Un dialogue tout seul s’appelle un monologue et c’est un peu la philosophie générale au niveau politique en ce moment.
Marc Ravalomanana est arrivé à Addis-Abeba, siège de l’Union Africaine, le 7 avril. Il était accompagné du ministre des Affaires étrangères du Swaziland, qui préside l’organe de sécurité de la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe). Il a rencontré le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, ainsi que le président de la commission de l’UA, Jean Ping. Il doit s’envoler aujourd’hui, 8 avril, pour Tripoli afin de s’entretenir avec le colonel Mouammar Kadhafi, président en exercice de l’UA.
Cette intense activité diplomatique précède la nomination d’un gouvernement « légal ». Les manifestations pour un retour à un minimum de normalité constitutionnelle continuent sur la place de la démocratie à Antananarivo. La Grande Ile risque de se retrouver avec une direction tricéphale car l’auto-proclamation d’Andry Rajoelina a inspiré l’ancien président Albert Zafy. Le professeur récuse le pouvoir actuel et veut promouvoir les provinces autonomes dont il serait le chef de file. Monja Roindefo, le Premier ministre de la HAT, répète à longueur de discours que la France débloquera bientôt une aide, semblant ainsi accréditer les rumeurs de sympathies marquées de l’ancienne puissance coloniale au régime en place. Cette référence systématique à l'Hexagone finit par indisposer les Malgaches. Il est vrai que la HAT est en mauvaise posture et a un besoin vital de financements.
Les employés de la Banque Centrale se sont mis en grève à partir du 7 avril pour protester contre les intimidations et les ingérences de la HAT qui violent leurs statuts. Les gens n’en peuvent plus de la méthode Capsat, en référence à ces militaires mutinés dont les comportements ont valu au pouvoir l’étiquette « d’inconstitutionnel » issu d’un « coup d’état » (voir article : « Démocrates, faites un miracle »). Cette violence et ce rejet de toute règle (hiérarchique ou morale) ont traumatisé autant les simples citoyens que les responsables. La HAT n’arrive pour l’instant pas à désigner son ministre de la défense. Etre obligé de signer sa lettre de démission sous la menace d’une kalachnikov n’est pas une perspective de carrière réjouissante et le chef d’état-major, auto-proclamé lui aussi, aurait aimé imposer son poulain.
Dès son accession au pouvoir, Andry Rajoelina avait déclaré que Tiko était « mort ». Ce n’était pas que des mots et les militaires ont même intercepté les camions de glaces et de sorbets pour déstabiliser la société. Les responsables de l’entreprise ont fini par jeter l’éponge et annoncé la fermeture définitive de TIKO. Cette nouvelle fit l’effet d’un électro-choc. Les 3.500 emplois directs perdus, des fournisseurs, prestataires ou fermiers se comptant en dizaines de milliers se retrouvant dans les pires difficultés, ont produit un sursaut de lucidité chez les dirigeants. Le ministre des Finances de la HAT a annoncé le 7 avril qu’un accord a été trouvé pour que la compagnie puisse continuer à exercer son activité, dans le respect de l’orthodoxie douanière et financière.
Les produits de première nécessité subventionnés n’auront duré que le temps de vider les stocks de Tiko. Les bénéficiaires de l’huile à prix réduit ont bien vu qu’elle était encore conditionnée dans des futs dûment estampillés du groupe du Président. Les boulangers ont trouvé une parade à la baisse imposée autoritairement de 300 à 200 Ariary pour la baguette. Auparavant, ils avaient en rayon un pain de 115 grammes à 200 Ar et un autre de 165 grammes à 300 Ar. Désormais, seul celui de 115 grammes subsiste. Ces mesures populistes ressemblent à celles qu’aurait pu prendre un pouvoir socialiste révolutionnaire. C’est un peu Robin des Bois qui vole les riches pour donner aux pauvres.
Toutes les valeurs de la société ont explosé avec cette dernière crise. Le droit, les lois, la culture, l’éthique, plus aucun précepte n’a été respecté. Tout a été relativisé et sacrifié au profit du seul objectif à atteindre : prendre le pouvoir. Dans une démocratie, la fin ne justifie pas les moyens. Cela ouvre la porte à l’anarchie et à une violence sans fin. Pour l’instant, Madagascar continue sa descente aux enfers. Les bases mêmes de la vie collective ont été ébranlées. Plus que jamais, la Grande Ile a besoin de personnes qui servent de référence morale.
Illustration : les employés de la Banque Centrale en grève s’abritent de la pluie tropicale sous le auvent de leur établissement le 7 avril.
Alain Rajaonarivony