«Il ferait mieux de pourchasser les trafiquants de bois de rose au lieu d’arrêter nos collaborateurs». Nadine était anéantie, oscillant entre colère et incompréhension. «Nous défendons quand même une centaine de familles». C’était l’affaire Bionexx. La gendarmerie malgache avait accepté obligeamment de servir de vigiles à des hommes d’affaires karana et avait donc arrêté le 4 août des inopportuns, des fonctionnaires malgaches en mission. Ces derniers étaient chargés d’écouter les différents protagonistes afin de trouver une solution. Le Général Ravalomanana s’était ensuite chargé «d’enfoncer» ces serviteurs de l’Etat. Leur ministre, Nadine Ramaroson a dû monter au créneau pour les défendre (voir article précédent).
Puis vint Majunga le 20 août, avec des affrontements entre des civils soutenus par des militaires contre d’autres militaires qui venaient les déloger de leurs terrains à coup de grenades lacrymogènes. Ce jour là, Nadine avait tenté d’appeler Andry Rajoelina à plusieurs reprises, pour qu’il intervienne afin d’arrêter ces expulsions musclées décidées par Hajo Andrianainarivelo, ministre de la Décentralisation et de l’Aménagement du territoire. Elle finit par lui envoyer un SMS sans plus de succès. Son interlocuteur était, semble-t-il, absorbé par sa réunion avec les hauts-gradés de l’armée. Elle avait alors envoyé l’équipe de son ministère sur place et demandé à son oncle, Alain Ramaroson, responsable de la sécurité au sein de la HAT, de les superviser et de faire valoir l’autorité.
Le lendemain, rebelote, 3 camions de l’Emmo-Reg (gendarmerie et d’autres corps) sont sur place pour exécuter l’ordre de Hajo. Mais Nadine réussit cette fois-ci à joindre Andry Rajoelina au téléphone. Ce dernier l’assure qu’il n’a jamais été question d’expulsion, d’autant qu’il ne s’agissait plus de 23 personnes comme l’affirment le ministre de la décentralisation et le chef de région, mais de presque un millier de citoyens. Andry lui confirme que le conseil de gouvernement avait déjà tranché sur l’arrêt des démolitions. Nadine lui rapportera alors les propos que Hajo aurait tenu : «Le conseil, ce n’est qu’une proposition, il n’y a que moi qui peut se servir et faire ce que bon me semble des terrains».
Après enquête, le ministère de la population avait trouvé des emplacements disponibles pour les lotissements populaires (Trano Mora). Mais utiliser des terrains appartenant encore à la Seimad (société immobilière de l’état) pouvaient rapporter, semble-t-il, des millions par le jeu d’écritures. Il fallait au préalable dégager les pauvres qui y avaient trouvé refuge sans autre forme de procès. Hajo est tombé sur un os avec Nadine.
Cette dernière avait accumulé les preuves impliquant le ministère de la Justice et celui de la Décentralisation et de l’Aménagement du territoire dans ces opérations et avait décidé d’écrire à Andry Rajoelina pour dénoncer toutes les injustices. Non seulement, il y avait les litiges fonciers, mais aussi des actes de tortures perpétrés par des membres de la HAT sur les individus récalcitrants.
Dans ses sorties publiques, Nadine commençait à hausser le ton. Pédophilie impunie, Bois de rose, corruption à haut niveau, litiges fonciers… elle était sur tous les fronts. Il y a 2 semaines, elle me confiait encore : «Je ne peux pas accepter cela. Je vais le dénoncer. Cela aura des répercussions sur mon poste». Ma réponse était simple : «Tu n’as pas le choix !». C’était une question de conscience. Ces prises de paroles provoquaient des réactions. Riaz Barday n’aurait pas arrêté de la menacer alors qu’elle n’exposait que les faits.
Ces dernières semaines, on passait beaucoup de temps au téléphone tous les deux, presque tous les jours. Elle s’était décidée à se lancer dans la course aux Présidentielles pour rester fidèle à ses idéaux. Elle était convaincue que Andry Rajoelina était berné par son proche entourage. Sur mes conseils, elle ne s’est jamais prononcée publiquement sur le retour ou non de Marc Ravalomanana contrairement à d'autres politiciens. L'essentiel, c'était le social sur lequel elle se concentrait. Et elle se préparait à aller aux élections, quels que soient ses adversaires. Elle croyait en «la fortune du bien».
Le 23 août, elle avait eu un entretien d’une heure avec Jean Faure, président du groupe d’amitié parlementaire franco-malgache au Sénat français. J’avais arrangé le rendez-vous depuis Paris. Jean Faure est un ami. Le soir de leur discussion, il m’appelle : «j’ai vu ta petite protégée. Elle m’a parlé du manque de budget de son ministère. Mais elle m’a l’air un peu triste».
Au dernier conseil du gouvernement, elle avait reçu une invitation spéciale du ministre du tourisme pour le Festival de la baleine, baptisée «Tsolabe». Elle est arrivée le 26 à Sainte Marie et s’était étonnée d’être seule alors qu’elle devait y rencontrer plusieurs de ses collègues du pouvoir. Même le ministre qui l’avait invitée n’était pas là.
Au retour, le 28, sa vedette s’est retournée à quelques centaines de mètres du rivage et a explosé au moment où les secours arrivaient. Elle est morte avec plusieurs de ses collaborateurs et des sauveteurs.
Sur sa page Facebook, que je gérais conjointement avec elle, des centaines de messages de condoléances et de désespoir ont commencé à défiler. «Qui va maintenant défendre les pauvres et le petit peuple ?» peut-on y lire. «La Mère des Pauvres», surnom qu’on lui donnait, n’est plus. En quelques heures, plus d’une centaine de personnes ont demandé à être son ami sans doute pour pouvoir écrire sur son Mur. En Inbox, il y avait aussi des dizaines de messages de sympathie.
Ailleurs sur Internet, sur les forums dits «légalistes», c’est un déferlement de haine et de bassesse d’esprit qui ont foulé aux pieds ce qui restait de beau dans la culture des Malagasy. «Ny fanahy no maha-olona (c’est l’esprit qui distingue l’être humain)» disaient les ancêtres. La crise est passée par là. Désormais, les Gasy affichent sans complexe leur inhumanité sur la Toile. Ces personnes qui passent à l’acte dans leurs commentaires, au nom de la «légalité» ne savent pas qu’elles viennent sans doute de perdre leur meilleure alliée au sein du pouvoir et qu’elles sont descendues plus bas que les «Fozas» qu’elles méprisent.
La haine rend aveugle. Il y a très longtemps, les Malgaches avaient des proverbes de sagesse pour permettre à la vie de s’épanouir… Ceux d’aujourd’hui les ont oubliés.
Photo1 : Nadine, avec des enfants pauvres, en juin 2011
Photo2 : 1 heure avant l’embarquement à Sainte-Marie, Nadine joue et donne à manger à un petit lémurien, une des dernières photos (photo Andry Rakotonirainy)
Alain Rajaonarivony
Le prochain article que je publierai sera encore sur Nadine Ramaroson