Madagascar était une légende, une espèce de continent à part avec ses lémuriens, ses orchidées et une population au pacifisme à toute épreuve. Si la situation actuelle perdure, elle deviendra un pays africain ordinaire. Des pauvres qui se révoltent, une dictature qui réprime dans le sang, des richesses immenses entre les mains d’une minorité et des multinationales, des militaires dans les rues, ce n’est pas encore « Blood diamond » mais on y arrive.
Ce 16 février, on a donc retrouvé les « mpiandry » (diacres protestants) tout de blanc vêtus en première ligne, comme en 2002, entre une rangée de fusils des forces anti-émeutes et des manifestants prêts à en découdre. Le but était de pénétrer dans des ministères et d’y installer les « ministres de transition ». Ce fut le fiasco, un nouveau rendez-vous est pris pour le lendemain. Des pierres ont été lancées en échange de grenades lacrymogènes et de tirs à balles réelles, en l’air mais pas toujours. Les affrontements ont duré plus de deux heures à Andohan’ Analakely, en plein centre d’Antananarivo. Il y a eu plusieurs blessés graves aussi bien parmi les policiers que les protestataires.
Et pourtant, c’était bien parti avec la nomination de deux nouveaux ministres de la transition sur la place du 13 Mai avec une grande première car ils sont issus de la diaspora. Il s’agit de Julien Razafimananjato, nommé à l’Education et du bien connu Augustin Andriamananoro, webmaster de Madagate.com, très engagé dans la défense de Andry Rajoelina, aux Télécommunications et Nouvelles Technologies.
La marche s’est arrêtée devant les cordons de l’Emmo-nat ( Etat-major mixte opérationnel). Les tractations ayant échoué, le Maire et son « Premier ministre » voulaient redescendre vers la place du 13 Mai mais la foule les en a empêché. Leurs partisans voulaient installer les « ministres » quel qu’en soit le prix. Le « petit peuple » n’est peut-être pas tout le peuple, mais on ne peut pas leur enlever le bénéfice du courage et de la volonté d’en finir avec un régime corrompu jusqu’à l’os. Tout le monde savait que les militaires pouvaient tirer mais personne n’a reculé. Et les responsables du mouvement se sont fait houspiller quand ils ont tenté de faire marche arrière.
La population d’Antananarivo est clairement divisée en deux. D’un côté, le « petit peuple », qui à l’image de Violette sur Arte considère que son existence ne vaut plus rien à cause d’une pauvreté sans nom et est prête à mourir pour le salut de ses enfants. De l’autre, la classe moyenne, ceux qui ont encore quelque chose à perdre (un travail, une entreprise, des biens durement acquis…), favorable à un compromis entre les deux partis, pour sauver ce qui peut l’être.
Au-dessus de tout cela, se trouvent les vrais responsables de cette situation, ceux qui ont détruit jusqu’à l’espérance des plus pauvres, le Président et sa cour, riches à milliards de tout ce qui a été amassé, détourné, spolié, y compris les terres des paysans données à des sociétés étrangères. Ils ne peuvent gagner dans cette confrontation qu’en usant d’un maximum de violences comme ce fut le cas du « samedi sanglant ».
Le Président est acculé, c’est pourquoi il s’est montré brutalement conciliant samedi. Ceux qui le connaissent savent bien qu'en position de force, il aurait plutôt tendance à humilier et à démolir sans pitié ses adversaires. Mais en face de lui, il y a une détermination telle qu’il doit composer. C’est presque trop tard ! Andry Rajoelina pose comme préalable à toute négociation la démission du Chef de l’Etat. Or, c’est une condition à priori impossible.
Au début, le Maire voulait se rendre avec une simple délégation dans les ministères. Mais la foule les a suivis. Sentant la tragédie possible, Andry Rajoelina déclara : « Ankinina amin’ny Andriamanitra ny dihantsika », « Je remets entre les mains de Dieu notre marche ».
Ce sera une longue marche dont l’issue est incertaine. Les médiateurs devront accomplir des miracles.
"La sagesse vaut mieux que les armes de combat..." Ecclésiaste 9:18
Les forces anti-émeutes à Andohan’Analakely. Photo de Sobika.com. Merci, Niry !
Alain Rajaonarivony