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  • Alain Rajaonarivony

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5 juillet 2009 7 05 /07 /juillet /2009 22:49


«C'est absurde. Qu'est-il advenu de nous? Où sont nos valeurs? Pouvons-nous parler les uns aux autres au lieu de s'entretuer?" se demande une personne interrogée.

"Idiots! Vous nous avez poussés dans une situation où il n'y a pas de retour. Pensez-vous que les jeunes qui ont été sur les barricades seront tranquilles à l'avenir? Pensez-vous qu'ils se soucieront de voter la prochaine fois? Pourquoi le devraient-ils?", dit un autre.

 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces paroles emplies de désespoir ne proviennent pas d’adultes fatigués et devenus fatalistes par une longue expérience de la vie mais de jeunes gens et d’adolescents. Elles sont extraites du rapport «Pandora's Box: Youth at a Crossroads ?», «La Boîte de Pandore : les jeunes à la croisée des chemins? », rédigé par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et un groupe d’organisations non-gouvernementales (ONG) locales et internationales rendu public le 23 juin 2009 (1).

 

La crise malgache, qui a démarré véritablement en décembre 2008 avec la fermeture autoritaire de la station de télévision Viva (voir article : «Viva la libertad !») n’est pas près de se terminer. Commencée dans la non-violence et l’exigence du respect des libertés garanties par la Constitution, elle s’est continuée finalement par un coup d’état dont l’ambassadeur américain Niels Marquardt a été le témoin oculaire (voir article : «ce n’est pas encore le mot de la fin»).

 

Depuis, la répression a changé de camp mais les victimes restent les mêmes : le peuple en général et la population d’Antananarivo en particulier. Grenades lacrymogènes et tirs en l’air (dans le meilleur des cas) sont toujours d'actualité. Le jour de l’Indépendance, le 26 juin, le nouveau pouvoir a arrêté des leaders (dont des élus) du mouvement pacifique légaliste. Les hélicoptères récemment livrés par la France ont servi à surveiller leurs meetings. La femme du directeur de Radio Fahazavana (Radio Lumière, une station protestante), Mme Ravoahangison, a été appréhendée pour obliger son époux à se rendre aux forces de l’ordre. Et le 30 juin, les menaces d’arrestation ont été réitérées à l’égard des opposants.

 

Dans la mesure où ce sont les autorités elles-mêmes qui démontrent que l’essentiel est de se trouver du bon côté de la kalachnikov, il n’est pas étonnant que les jeunes perdent complètement leurs repères. Le 22 juin, la HAT (Haute autorité de transition) annonçait l’octroi de 3,2 milliards d’Ariary de primes aux membres de l’armée. Il semblerait que ce soit le transfert du budget du Parlement, suspendu, qui ait permis cette largesse. Lors de la parade militaire de l’Indépendance, les Tananariviens, incrédules, ont vu défiler un nouveau corps, le FIS (Force d’Intervention Spéciale) avec à sa tête, les commandants Charles et Lylison, célèbres pour leurs violences lors du coup d’Etat du 17 mars et les répressions et arrestations arbitraires qu’ils ont opéré depuis. Logiquement, ces personnes auraient dû sanctionnées. Au lieu de cela, elles ont été promues.

 

Quand, dans le rapport de l’Unicef, un jeune déclare cyniquement " La vie de la rue a toujours été une vie de misère ; maintenant qu’on peut voler sans que personne ne dise rien, c’est mieux ", il prend simplement acte du déplacement des repères initié par les dirigeants.

 

La violence et l’agressivité se sont installées dans une société où le « Fihavanana » (l’art de gérer les  relations sociales de manière non conflictuelle) était une vertu cardinale (voir article : «Le Fihavanana, une conception devenue virtuelle»).

 

Le désastre économique est patent. Le pouvoir a promis la baisse des produits de première nécessité (farine, riz, huile de table…) en puisant dans le stock de Tiko, le groupe agro-alimentaire du Président. Mais quand les stocks ont été asséchés, les prix se sont envolés. La farine est passée de 1.080 Ariary à 2000 Ar le kilo, le reste est à l’avenant. La monnaie s’est dépréciée. Il fallait environ 2400 Ar pour 1 Euro en mars 2009, on en est à 2730 en juillet. Le taux de croissance a dégringolé de +7%  à -0,2% entre 2008 et mi-2009. Le secteur touristique est totalement sinistré. La HAT espère la venue de 150.000 touristes pour cette année, une estimation qui semble surévaluée. Ils étaient 378.000 en 2008. Avec la fermeture des usines des zones franches due à la suspension des accords internationaux, conséquence du coup d’état, ce sont plusieurs centaines de milliers de chômeurs en plus qui se retrouvent à la rue, et cela au propre comme au figuré. Les rues d’Antananarivo sont envahies de petits marchands qui pratiquent ce commerce informel pour survivre. Ils sont tellement nombreux que la circulation en centre ville est maintenant considérablement gênée.

 

Mais plus que la crise politique et économique, c’est le désastre psychologique qui sera le plus dur à réparer tant il touche en profondeur les Malagasy. Les valeurs morales, servant de balises à toute société, ont été bafouées. Des « raiamendreny » (anciens synonymes de sagesse), qui servent traditionnellement d’interface dans les conflits ont trempé dans les complots visant à renverser le Président. Ainsi en est-il de l’évêque Odon Razanakolona, chef des médiateurs de la FFKM (Fédération des églises) dont on a appris sur le tard l’action souterraine partisane. Mais d’autres l’ont précédé dans cette voie, comme Norbert Ratsirahonana, professeur de droit et ancien responsable de la Haute Cour Constitutionnelle qui a justifié le coup d’état par des arguties peu nobles (voir article : «ce n’est pas encore le mot de la fin»). Ces personnes, véritables références morales, ont failli. Leurs intérêts particuliers ont primé sur ceux de la nation. Les jeunes se retrouvent donc avec des contre-modèles. Ceci explique leur cynisme puisque l’exemple du non-respect des règles vient de ceux là même qui devraient en être les gardiens. Le message pharisaïque, « Faites ce que nous disons, pas ce que nous faisons », est dévastateur pour la nouvelle génération. Car les anciens ont non seulement transgressé les lois, ils ont aussi prôné la violence. Faut-il s’étonner alors de la dégradation des mœurs et de l’insécurité grandissante ? 

 

Le pouvoir qui reprendra les rênes du pays après ce coup d’état devra impérativement faire preuve d’exemplarité afin de réparer ces blessures internes, destructrices des idéaux collectifs. Si psychologiquement, chacun est mal, la société ne sera que méfiance et violence. Il en va donc de la survie même de la nation. Autrement, la loi du plus fort sera intégrée comme référence et c’en sera fini de Madagascar, pays de la douceur de vivre.

 

 

(1) Conduite auprès de  plus  de  12.800  enfants  et  jeunes  de  la région Analamanga (celle d’Antananarivo, la capitale), cette évaluation  dépeint  en détail les effets de la crise sociopolitique sur le quotidien des jeunes, l’impact sur leurs états émotionnel, psychologique, social  et  éducatif ainsi que les séquelles sur les valeurs auxquelles ils se sont traditionnellement attachés.

 

Photo1 : Des jeunes… et des enfants marchent vers le palais présidentiel le 7 février 2009

Photo2 : Répression d'une manifestation légaliste à Antananarivo le 20 avril 2009

Merci aux photographes qui ont dû souvent prendre des risques.

 

 

Alain Rajaonarivony

 

 

 

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