Madagascar est un paradis ! A lire certains éditorialistes pro-HAT (Haute autorité de transition, issue du coup d’état), les touristes se bousculeraient dans les stations balnéaires pour jouir du soleil, de la mer et de la gentillesse des habitants. Les hôteliers et les restaurateurs ne seront pas tout à fait d’accord mais cela n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est le fantasme.
Si l’on s’en tient aux faits, c’est-à-dire par exemple aux statistiques, ce pays serait plutôt maudit. Au niveau économique, la croissance est passée de 7% à 0% en moins d’un an, la monnaie a dévalué de 25% dans le même temps, les importations sont en chute de 60 % etc… L’indice de développement humain est encore plus parlant. L’espérance de vie, déjà faible – 59 ans -, a baissé, le taux de scolarisation, ascendant depuis 2002, décroît à mesure que les effets de la crise s’abattent sur les parents, le Sud (l’Androy) connaît toujours la disette, en fait une véritable famine. Le taux de mortalité infantile est effrayant…
Les chiffres, loin des standards du XXIème siècle, ne seraient normaux que dans un pays en guerre. Le hic, c’est que depuis la rébellion de 1947 contre le colonialisme, la Grande Ile n’a plus connu de conflit. Les tensions ultérieures n’ont été ensuite que le fait des hommes politiques. Dès l’indépendance, acquise en 1960, l’appareil d’état n’a cessé de se dégrader, lentement d’abord puis de plus en plus vite. L’administration s’est mise progressivement au service du pouvoir en oubliant totalement le peuple dont elle est sensée être au service. Le «taux de bonheur brut» tend vers zéro pour la population, comme son degré de liberté, mise en évidence par Reporters sans Frontières. Ce n’est pas le cas des dirigeants dont le comportement fait penser à des affamés se jetant sur un gâteau : sans retenue et sans respect pour les autres.
Prétentieux, incompétents, lâches, veules ou félons sont des qualificatifs durs que les observateurs appliquent aux politiciens malgaches. Le dernier «traître» en date de quelque importance est Alain Andriamiseza, un des principaux meneurs des légalistes devenu du jour au lendemain ministre du gouvernement Monja II, sensé être son adversaire, le 8 septembre dernier. Ce que le grand public ignore, c’est qu’un certain nombre d’autres leaders légalistes ont aussi déposé leurs curriculum vitae mais n’ont pas été retenus.
La France fait flèche de tout bois pour tenter d’imposer Andry Rajoelina à la tête de la nouvelle transition et «éviter qu’il ne mange son chapeau» comme me l’a dit si bien un responsable français. Mais «il sera sans pouvoir», a-t-il ajouté pour faire passer la pilule. L’ancienne puissance coloniale aurait tort de se gêner. Ce ne sont pas les collabos, prêts à tout pour avoir un poste, qui manquent. Cette classe politique sans scrupule n’a pas arrêté d’humilier et de trahir le peuple.
Le 25 septembre à New-York, Madagascar a été mortifié devant la communauté des nations (voir article «Humiliations au Sommet»). On le doit au «ministre des affaires étrangères», Ny Hasina Andriamanjato, dont l’incompétence n’est plus à démontrer. Ce fut «la honte internationale» comme dirait les Pieds-noirs. Dans une autre culture, le responsable se serait fait hara-kiri, dans d’autres, il aurait démissionné. A Madagascar, il continue d’exercer le rôle de chef de délégation du président de la HAT et prend la parole sans gêne apparent.
Le 28 octobre est sortie une interview du président Ravalomanana dans «Le Monde», désastreuse. La communication, domaine très sensible, ne tolère pas l’improvisation. Celui qui lui a soufflé les réponses avait sans doute plus à coeur de se faire valoir que de soigner l’image du pays ou celui de son commanditaire.
Le sens de l’honneur indissociable de la fidélité à ses principes n’est pas une valeur en vogue à Madagascar. L’intérêt particulier prime toujours sur celui de la nation pour des politiciens prêts à se retourner autant de fois que nécessaire pour se maintenir. Cette incapacité à avoir une vision d’homme d’état qui pense d’abord aux générations futures avant ses avantages immédiats les a empêchés d’initier le moindre dialogue pour sortir de la crise.
Les premières rencontres entre les rivaux au Hintsy à Antananarivo fin février (voir article : «D’heure en heure vers l’échec»), porteuses d’espoir pour le peuple, n’étaient qu’une vilénie de plus. Jacques Sylla, responsable de la délégation de Marc Ravalomanana, était de connivence avec la partie adverse et a agi pour piéger son président. Le chef des médiateurs, Monseigneur Odon Marie Arsène Razanakolona, était lui aussi dans le complot. Trahissant à la fois son statut de négociateur et son éthique chrétienne, il mérite largement son surnom de Monseigneur Omar donné par un chroniqueur, en étant doublement traître. Il a détruit la crédibilité de la fédération des églises (FFKM), le seul recours moral qui restait encore aux malgaches. A l’époque, on parlait de la sympathie prononcée du pasteur Lala Rasendrahasina pour Ravalomanana, trop voyante pour qu’il puisse être impartial. Son collègue catholique au sein de la FFKM a été plus sournois.
Il n’est donc pas étonnant qu’il ait fallu l’intervention de la communauté internationale pour débloquer la situation. Le round suivant se déroule à Addis-Abeba du 3 au 5 novembre. Nul doute que les Malgaches vont y donner un spectacle lamentable, comme d’habitude. Sauf si… un petit grain de sable n’enraye la machine à descendre toujours plus bas. Depuis son arrivée à Antananarivo, Mamy Andriamasomanana (voir article : «Quitte ou double») travaille discrètement à une remise aux normes du processus et des objectifs des négociations. Il a su se faire apprécier au point qu’Andry Rajoelina lui a proposé de devenir son directeur de cabinet, offre qu’il a poliment déclinée. Mais il devrait être à Addis-Abeba en tant que conseiller technique. Connaissant parfaitement maintenant les deux principaux protagonistes, Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana, et estimé par Didier Ratsiraka, il tentera l’impossible…
Alain Rajaonarivony